《La Loi du Mystère [French]》Interlude - L’Inquisiteur (2ème partie)

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Lecca Valteline aimait et redoutait les rumeurs. Il les aimait, car elles comportaient toujours une part de vérité. Il les redoutait, car elles corrompaient le réel et prenaient parfois des formes inattendues.

Il avait passé tant d’années à débusquer les hérétiques et les impies, qu’il avait fini par entendre toutes les histoires possibles et imaginables. La fantaisie avait tendance à prendre le dessus lorsqu’on était sujet à la torture. Il était donc devenu expert dans l’art de décortiquer une rumeur pour n’en extraire que l’essence pure : la vérité.

C’est pour cette raison qu’il chassa de ses pensées la dernière rumeur, comme on chasse une mouche de son visage. Il avait entendu de telles échos à de nombreuses occasions et les on-dit s’étaient toujours révélés être de simples superstitions ou seulement des mensonges trompeurs.

Mais Lecca aurait peut-être dû prêter une oreille plus attentive cette fois.

Le médecin lui avait dévoilé des informations utiles. L’Imbattable avait bel et bien repêché un naufragé, comme l’avait si facilement révélé le capitaine lorsque Lecca s’était présenté à lui. L’homme était blessé à la cuisse, complètement chauve et portant un tatouage sur son crâne. La description correspondait trait pour trait à celle faite par le roi et Lecca comprit qu’il tenait la trace de l’homme qu’il cherchait.

Le médecin avait d’abord résisté, mais avait fini par craquer. Puis comme tant d’autres, il avait commencé à délirer sous le coup de la douleur. Lecca avait ignoré ses tergiversions. Après tout, ses dix doigts avaient été dévorés par les rats quand Lecca en avait terminé avec lui. Même le plus robuste des esprits finissait par se briser face à un tel supplice.

Lecca dut reconnaitre qu’il avait fait une maladresse en négligeant les derniers mots du médecin. Il aurait aimé lui parler encore une fois, mais le pauvre bougre était déjà en route pour les geôles du Mysterium, accompagné par plusieurs Exécuteurs qui attendaient aux portes de la ville pour ne pas s’attirer le courroux des Holstein et Sienna.

C’est donc avec humilité que Lecca admit son erreur et prêta une oreille plus attentive aux rumeurs qui agitaient la ville ce matin : un Mage avait été aperçu à Drachima !

Il avait d’abord entendu cette histoire de la part de la milice de la Ville-Basse. Les scélérats l’avaient repoussé — les Inquisiteurs n’étaient pas les bienvenus à Drachima — mais lorsqu’il montra sa bourse remplie d’or, le ton changea et devint tout à coup plus accueillant.

Les miliciens étaient sur le qui-vive ce matin, car trois des leurs avaient été retrouvés morts dans une ruelle. Mais cela n’avait guère concerné Lecca. L’assassinat de miliciens était presque un sport à Drachima. Non, ce qui l’intéressait, c’était l’étrange histoire à propos de la banque.

Il faisait maintenant face au bâtiment affublé de ses quatre tours dorées si ostentatoires. Ses deux Exécuteurs l’accompagnaient, mais il jugea plus prudent d’entrer seul dans l’institution financière.

— Redaell, Zera, allez inspecter les alentours pendant que je rends visite au directeur de la banque.

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— On cherche quelque chose en particulier ? demanda Redaell.

— Je ne sais pas encore. Soyez attentifs aux moindres indices, comme je vous l’ai appris.

L’Exécuteur opina du chef et s’éloigna avec le géant qui resta muet. Redaell était parfois imprévisible, mais il ferait surement un bon Inquisiteur s’il abandonnait un jour ses vices. L’amener à Drachima était une vraie torture pour l’Exécuteur, mais jusque là, il n’avait pas déçu Lecca.

L’Inquisiteur s’avança vers la banque et monta les escaliers menant à l’entrée principale. Un garde en armure scintillante s’interposa et posa une main sur sa poitrine pour l’arrêter. Lecca fixa la main gantée puis asséna son regard le plus meurtrier à son propriétaire.

— J’espère que vous savez ce que vous faites ?

Le garde retira sa main, mais bloquait toujours la voie.

— Je… euh… Le Mysterium n’a pas d’autorité ici, se rappela-t-il.

Bien que la garde de la banque soit plus loyale que la milice de la Ville-Basse, ses rangs ne comptaient pas les esprits les plus ingénieux de Drachima.

— Je suis ici en simple visite. J’aimerais examiner mon coffre, dit-il en sortant une clef dorée de sa poche.

La clef était authentique et lui appartenait bel et bien. Il avait fait installer son coffre personnel lors de sa première visite à Drachima, alors qu’il était encore un Exécuteur. À l’intérieur, il y gardait une bonne quantité d’or lui servant d’assurance… au cas où le Mysterium changerait d’avis à son sujet. Lecca était un homme prudent.

Le garde se figea, divisé par le fait que l’Inquisiteur avait interdiction d’entrée comme membre du Mysterium, mais pas en tant que client de la banque. Par chance, le directeur vint à sa rencontre.

— Inquisiteur Valteline, quel plaisir de vous revoir ! Entrez donc, j’imagine que vous voulez inspecter votre coffre ? J’ai entendu dire que vous étiez en ville, j’ai justement fait préparer votre aile pour plus de discrétion !

L’invitation du directeur confirma les soupçons de Lecca : quelque chose ne tournait pas rond. Mis à part les Mysteriarchs venant emprunter de l’argent, jamais un membre du Mysterium n’avait été convié avec tant d’entrain dans la banque. Le directeur lui cachait quelque chose.

— Monsieur le directeur, merci de m’accueillir ainsi, dit-il en contournant le garde qui se frottait le menton d’un air perdu.

Lecca pénétra dans la banque qui semblait bien plus calme qu’à son habitude. Les guichetiers avaient le nez enfoui dans des piles de paperasses, mais aucun client n’était présent. Autre fait étrange, une équipe d’artisans était à l’œuvre pour remplacer une des grandes vitres surplombant la pièce principale.

— Vous faites des travaux de rénovation ?

— Oui, oui, c’est cela, oui, de la rénovation, dit le directeur avec un rire nerveux. Vous savez à quel point il est important de garder un vitrage de qualité, n’est-ce pas ?

— Hum. Pourquoi ne pas remplacer la totalité des vitres dans ce cas ?

Le directeur jeta un œil aux artisans comme s’il les voyait pour la première fois.

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— Mais quelle bonne idée ! Pourquoi se contenter des plus anciennes, n’est-ce pas ? Maitre Galant, vous voudrez bien vous occuper des autres vitrages une fois celui-là achevé ?

Le maitre artisan, occupé à vernir le bois de l’enchevêtrement, se retourna sans vraiment comprendre.

Le directeur n’attendit pas de réponse et pria Lecca de le suivre. Ils se dirigèrent ensemble vers le coffre de Lecca, situé sous l’aile ouest de la banque. Ils passèrent les lourdes portes de métal protégeant les richesses enfouies dans la banque et rejoignirent la petite pièce couverte de coffres personnels tous numérotés.

— Voilà votre coffre, dit le directeur en pointant du doigt la serrure.

Lecca ne sortit pas sa clef pour autant.

— Je suis là pour une autre raison, révéla-t-il enfin.

Des gouttes de sueur perlaient sur le front du directeur.

— Plait-il ?

— D’étranges rumeurs circulent en ville.

— Des rumeurs dites-vous ?

— Tout à fait. Votre établissement aurait été attaqué dans la journée d’hier.

— Une attaque ? Vous savez tout comme moi que cet établissement est le lieu le plus sûr d’Aviz. Personne n’oserait une telle folie !

— Pas même un Mage ?

Le directeur pâlit, puis feignit un rire.

— Qu’allez-vous donc imaginer là ? Un Mage ? Quelle extravagance !

— Dans ce cas, vous ne verrez pas d’inconvénient à ce que je pose quelques questions à vos employés ?

— Je peux très bien répondre à vos questions Monsieur Valteline. Mais je vous assure que les rumeurs sont infondées. Il s’agit surement d’une farce visant à nous décrédibiliser.

Lecca s’approcha du directeur qui recula précipitamment. Son dos cogna la cloison protégeant les coffres dans un grincement métallique.

— Qui était cet homme se faisant passer pour un Mage ? Et que faisait-il ici ? demanda Lecca sur un ton beaucoup moins amical.

Le directeur déglutit.

— Je… euh… vous savez très bien que l’identité de nos clients est tenue secrète. Je ne peux dévoiler une telle information.

Deux gardes en armures émergèrent du couloir et le directeur se détendit, rassuré par leur présence. Lecca prenait un grand risque en forçant ainsi la main du directeur. Malgré les apparences, le Mysterium était l’un des plus importants clients de la banque. La chasse aux impies pouvait être très couteuse ! Si une plainte était envoyée au Haut Mysteriarch, Lecca ne donnerait pas cher de sa peau.

Il recula d’un pas et le directeur se redressa, faisant mine de dépoussiérer son habit rouge criard.

— La garde pourra vous escorter jusqu’à la sortie, dit le directeur fier de sa victoire. Pour votre confort, bien entendu !

— Bien entendu, dit Lecca avec un sourire mensonger.

Les gardes s’approchèrent un peu trop près au gout de Lecca et il les suivit sans résister. Juste avant qu’il ne s’éloigne, il se tourna une dernière fois vers le directeur qui le fixait encore.

— Ah, j’oubliais ! dit-il en sortant une mèche de cheveux de sa poche.

Il considéra la chevelure d’un blond presque blanc puis la porta à son nez pour la sentir comme s’il s’agissait d’un bouquet de fleurs.

— Vous donnerez mes salutations à votre fille, finit-il.

Le teint du directeur passa de blême à grisâtre et Lecca crut qu’il allait vomir son petit déjeuner sur ses bottes.

— Qu… que… quoi ? balbutia le directeur.

Lecca fit mine de se retourner pour quitter la banque, mais cette fois c’est le directeur qui l’en empêcha.

— Attendez ! Vous deux, déguerpissez maintenant ! cria-t-il aux gardes qui suivirent ses ordres sans broncher.

Le directeur s’approcha de Lecca, tremblant de tout son corps.

— S’il vous plait, ne lui faites pas de mal ! Je… je vais tout vous expliquer.

— J’ai besoin d’un nom.

— Léon de Tassigny. C’est lui que vous cherchez.

— Un algravien ?

— Oui, un petit noble qui vit à Caetobria. Il était venu inspecter son coffre, mais il est censé être mort, c’est ce qui m’a d’abord mis la puce à l’oreille.

— Comment un mort se retrouve dans votre établissement ?

— Je ne sais pas, mais… il avait tout de même l’air différent. Sa chevelure et ses habits n’étaient pas habituels. Et il était violent.

— Sa chevelure… il n’était pas chauve ?

— Non, mais il avait les cheveux très courts, ce qui est peu commun pour quelqu’un de son rang ! Par le passé, il portait les cheveux au niveau des épaules.

— Que contient son coffre ?

— Vous savez très bien que même pour moi cela reste un secret. Nous n’inspectons jamais le contenu des coffres. Je ne peux pas vous en dire plus, je vous le promets !

— Hum. Et cette histoire de Magie ?

— C’est… c’est vrai, je l’ai vu de mes propres yeux. Il s’est envolé tel un rapace et a sauté par la fenêtre.

Lecca sentit l’excitation lui serrer les tripes. Il avait à faire à quelqu’un d’ingénieux, réussissant à se faire passer pour un Mage. Ou pouvait-il réellement s’agir de magie ? Non, c’était ridicule.

Il ne perdit pas une minute de plus et tourna le dos au directeur pour quitter la banque.

— Et ma fille ?

— Charmante jeune femme ! cria-t-il dans son dos sans plus d’explications.

Il sortit de la banque pour rejoindre Redaell et Zera.

— Des indices ? leur demanda-t-il.

— On a trouvé des débris de verres et les traces d’une calèche derrière la banque. Elles semblent filer vers l’ouest.

— Il se peut que notre assassin ne soit pas seul dans ce cas. Nous devons retourner au plus vite à Caetobria.

— Une piste ?

— Oui. Léon de Tassigny.

Les trois membres du Mysterium rejoignirent leur monture pour quitter la ville. Lecca caressa le crin de sa jument et fut encore une fois surpris par la ressemblance de son poil blond à la chevelure d’une certaine jeune fille. Parfois, la violence était inutile.

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