《La Loi du Mystère [French]》Chapitre 4.3 - La voie dorée

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— Puisque je vous le dis ! s’écria une voix inconnue.

March ouvrit les yeux, allongé sur le tas de foin qu’il avait préparé la veille en guise de couchette.

— C’était bien un Mage ! Le cousin d’ma femme l’a vu de ses propres yeux ! continua la voix provenant du dehors.

March avait sombré dans un sommeil de plomb et passé une nuit sans rêves. Il se sentait revigoré et avait même une faim de loup, ce qu’il estima être un bon signe. Mais la voix à l’extérieur l’inquiéta.

— Sottises ! s’exclama la voix familière de Gomero. Qu’est-ce qu’un Mage ferait à Drachima ? Ils sont tous morts depuis des siècles au cas où vous n’auriez pas entendu la nouvelle !

March se redressa pour mieux écouter et fut surpris de trouver une couverture sur son corps. Il ne l’avait pas posée là lui-même et conclut que Saira avait dû la lui offrir. Il se leva pour remercier la jeune femme, mais la calèche était vide.

— Si vous m’croyez pas, c’est votre problème ! dit l’inconnu. On m’dit que le Mage a invoqué une vraie tempête ! Avec des éclairs et tout ! C’est pour ça qu’la banque est fermée, le couz’ y dit qu’la banque est ravagée !

Il se leva d’un bond à la mention de la banque et se rapprocha discrètement de la sortie de l’écurie, d’où il pouvait écouter la conversation sans être découvert. À l’extérieur, la lumière naissante du soleil se reflétait sur l’Arche et lui donnait des éclats orangés.

— Monsieur, pardonnez-moi mes doutes, mais il me faudra voir une telle chose de mes propres yeux avant que je ne vous croie ! rétorqua Gomero.

— Comme j’vous dis, pas mon problème ! Vous vouliez une histoire, c’est s’que tout le monde raconte à Drachima depuis hier ! Et y’a aussi un Inquisiteur qui traine dans la Ville-Basse, j’vous parie qu’il cherche le Mage.

March serra les poings. Si un Inquisiteur était sur ses traces, les choses se compliquaient.

— Il y a des Inquisiteurs aux quatre coins d’Aviz, dit Gomero. Il en reste même quelques-uns à Urraca et cela me surprend plus qu’un simple Inquisiteur à Drachima ! Ça peut être une coïncidence.

— Pff, vous autres algravien v’croyez en rien de toute façon ! J’vous dis qu’un Mage est de retour ! Vous verrez, d’ici peu, tout l’monde en parlera !

March entendit les pas de l’homme qui s’éloignait et en profita pour sortir de l’écurie.

— Ah Monsieur March ! le salua Gomero en l’apercevant.

Il portait déjà son immense sac à dos de voyage plein à craquer et avait remplacé la plume verte de son chapeau par une bleue. March se demanda encore une fois où il pouvait trouver ces étranges plumages.

— Bonjour Gomero, répondit-il. Dites-moi, je n’ai pu m’empêcher d’entendre votre conversation avec cet homme. Qui est-ce ?

— Oh lui ? Juste un marchand en provenance de Drachima. Il a voyagé de nuit et j’ai profité de sa présence pour récolter quelques rumeurs, mais croyez-le ou non, ce pauvre nigaud dit qu’un Mage serait apparu à Drachima !

Gomero se mit à rire et March préféra l’imiter, bien que cette nouvelle l’inquiétait. Il avait utilisé ces pouvoirs dans la banque et en moins d’une journée, les rumeurs se répandaient déjà vers les autres royaumes. En plus de ça, le récit commençait à revêtir une tournure bien plus saugrenue que ce qui s’était réellement passé.

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— Vous tombez bien, reprit Gomero. Je voulais vous remercier d’avoir partagé votre repas d’hier en vous offrant ceci, dit-il en tendant un petit livre à March. Après avoir vu votre désarroi hier lorsque je vous ai appris la nouvelle au sujet du roi, je me suis dit que vous aviez besoin d’une bonne histoire pour vous changer les idées !

March prit l’ouvrage. La couverture lisait Histoire courte du peuple d’Heimur, par Jeremias l’Ancien.

— C’est un de mes recueils préférés, dit Gomero avec un grand sourire. Jeremias l’Ancien était l’historien de la cour du roi Caetobria IV, le saviez-vous ?

— Je… euh non. Gomero, je ne peux pas accepter un tel présent. Si vous y tenez, vous devriez le garder, dit March en tendant le livre vers son propriétaire.

— Que nenni, mon ami ! Je pourrais le réciter de mémoire, je n’ai pas à m’encombrer de son poids pour mon voyage. Le reste de ma collection est un assez lourd fardeau pour mon vieux dos ! dit-il en tapotant le flanc de son sac.

March regarda le livre. Le cadeau de Gomero le toucha, et il avait l’impression que dans son passé, on l’avait rarement gâté d’un tel acte de générosité.

— Merci, lui dit March sincèrement.

— Et au cas où cela vous inquiéterait, ce livre n’est pas proscrit par le Mysterium.

March fouilla sa mémoire et à la vue de sa confusion, Gomero reprit :

— Le Mysterium à l’habitude d’interdire toute littérature faisant référence aux Mages. Cela ne rend d’ailleurs pas mon métier très simple ! Il serait parfois tentant d’étudier d’anciens textes écrits par les Mages, mais les seuls parchemins restants sont concis aux archives du Mysterium et interdits à toute autre personne que les Mysteriarchs et leurs archivistes. Ce texte est une exception. Il a été approuvé par Caetobria IV, un descendant direct du fondateur de la capitale d’Algrava. Et Jeremias l’Ancien est une figure que même le Mysterium ne peut nier, son travail de recherche sur la chute des Damnés est un cas d’étude pour tous les Inquisiteurs ! Cet ouvrage est bien entendu plus léger et repose sur des croyances ayant précédé le Cataclysme. Connaissez-vous le mythe des Créateurs auquel il renvoie ?

— Non, je ne crois pas.

— Ce n’est pas surprenant, le Mysterium s’est assuré de faire disparaitre autant de référence possible à leur sujet. Autrefois, on vénérait les Créateurs comme les draconiens vénéraient les Mages.

— Une religion…

— Oui, c’est ça. Un idée quelque peu révolu sur notre continent, n’est-ce pas ?

March acquiesça. Il se rappela que le Mysterium avait passé le dernier millénaire à réprimer toute forme de religion. Le concept n’était pas seulement révolu, il avait été assassiné à coup de fouet.

— Il est l’heure de vous faire mes adieux, cher ami. La mer m’attend !

— Bon voyage Gomero, dit March en lui serrant la main. Et soyez prudent.

— Bien entendu ! Adressez mes salutations à Dame Saira, sa compagnie pendant le repas a été très agréable.

— Je n’y manquerais pas. Justement je la cherchais. L’avez-vous vu ce matin par tout hasard ?

— Il me semble avoir aperçu son cheval derrière l’écurie, vous la trouverez surement dans les parages.

March le remercia puis le regarda s’éloigner vers la voie dorée, où plusieurs voyageurs marchaient déjà. Il contempla encore une fois le petit ouvrage et le glissa dans une poche de sa veste. Il contourna ensuite l’écurie à la recherche de Saira.

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Sa jument s’abreuvait à un large bac tandis que Saira était assise à même le sol, le dos contre la paroi de l’écurie. Elle tenait une fiole contenant un liquide sombre qu’elle porta au-dessus de ses yeux. Une goutte noire tomba du flacon qui disposait d’un bec à cet effet. Elle serra les dents de douleur lorsque le liquide toucha sa rétine.

Elle se tourna brusquement vers March lorsqu’elle l’entendit venir et s’empressa de cacher le flacon dans une des poches de sa veste.

— Ah enfin levé ! dit-elle le plus naturellement possible.

— Je suis désolé si je t’ai surpris.

Elle haussa les épaules.

— J’ai rencontré Gomero, il te salue.

— Héhé, sacré personnage, n’est-ce pas ? Et un fin connaisseur de cervoise, si tu veux mon avis ! dit-elle en mimant la forme ronde du ventre de l’historien.

— Merci pour la couverture, dit-il en caressant la jument alors que Saira se relevait.

— Tu tremblais de froid, je me suis dit que tu en aurais plus besoin que moi.

— Je… je ne m’en suis pas rendu compte.

— Les nuits sont parfois fraiches, mentit Saira.

Elle savait que dans cette région, on pouvait dormir à la belle étoile sans craindre la chute de température et March comprit qu’elle voulait lui éviter de s’inquiéter.

— Prêt à partir ? demanda-t-elle.

March acquiesça et ensemble, ils attelèrent la jument à la calèche puis retournèrent sur la route vers Caetobria.

La voie était de plus en plus bondée, signe qu’ils s’approchaient de la capitale d’Algrava. Un malaise s’était installé entre Saira et March depuis qu’il l’avait surprise derrière l’écurie. La jeune femme était nerveuse et semblait vouloir dire quelque chose sans vraiment oser franchir le pas.

— Tu sais… commença-t-elle.

— Je voulais… dit March au même instant.

Leurs regards se croisèrent et la situation les fit rire. March fut le premier à parler pour dissiper la gêne.

— Je souhaitais simplement te dire que tu ne dois pas avoir honte en ma présence. J’ai moi-même un passé tourmenté, bien qu’il ne m’en reste que de vagues souvenirs, et tu ne m’as pas repoussé pour autant.

Elle acquiesça et sembla se détendre légèrement.

— C’est juste que je n’ai pas l’habitude de faire confiance, surtout…

Elle hésita.

— Surtout aux hommes, acheva March.

— Oui.

— C’est à cause de tes origines n’est-ce pas ? Tu es…

Il hésita un instant, mais Saira opina du chef. Elle l’invitait à terminer sa phrase en connaissant déjà les mots que March s’apprêtait à prononcer.

— Tu es une draconienne.

Saira lui sourit d’un air triste.

— Qu’est-ce qui m’a trahi ? demanda-t-elle. Mon collyre ?

— J’avais déjà des soupçons avant ça. Le col de ta chemise dévoile légèrement la présence du fard que tu utilises sur ta peau.

Le regard de March sur son cou fit rougir Saira, alors il détourna ses yeux vers la route avant de reprendre.

— Quand Gomero a mentionné Ehz-Ilateb et que j’ai vu ta réaction, j’ai compris… Tu as traversé la Herse pour venir sur Aviz, n’est-ce pas ?

Elle hésita, baissa les yeux comme pour chasser un souvenir troublant.

— Oui. J’étais très jeune, je voyageais avec mes parents, mais… eux n’ont pas survécu.

— Je suis désolé, dit March.

— Ce n’est pas ta faute et si tu veux mon avis, le sacrifice en a peut-être valu la peine. J’en ai bavé, mais aujourd’hui je suis libre, et maitresse de mon destin. Eux ne pouvaient pas en dire autant lorsque nous vivions sur le Continent Maudit.

March acquiesça. Il avait peu de connaissances à propos d’Ehz-Ilateb, mis à part le fait que le continent était constamment dans l’ombre de l’Arche. Il était difficile d’y faire pousser des plantes à cause du manque de lumière et les nombreux réfugiés qui parvenaient à traverser la Herse, décrivaient le système politique comme chaotique, voire anarchique.

— Je n’avais jamais vu un tel collyre, continua March, curieux d’en savoir plus. Il couvre le violet de tes pupilles, c’est ça ?

Elle sortit la petite fiole de sa poche intérieure et le lui tendit. Il déboucha le flacon et renifla le liquide noir.

— Fais attention avec ça. C’est de l’huile de Soldanelle noire.

— Du poison ! dit-il en écartant la bouteille de son visage.

— Lorsqu’il est ingéré pur, oui. La dose que j’utilise n’est pas aussi dangereuse, mais quand même douloureuse. Une goutte par pupille chaque matin suffit à cacher la couleur naturelle de mes yeux. Tu imagines si j’essayais de faire commerce avec mes yeux violets, on ne m’adresserait même pas la parole !

March savait à quoi elle faisait référence. Les draconiens avaient vénéré les Mages pendants des siècles. De nombreux Berserker, les guerriers protecteurs des Mages, étaient choisis parmi ce peuple jouissant d’un statut d’élite durant la période qui précédait le Cataclysme. Leur trahison lors de la Purge qui chassa les derniers Mages acheva le ressentiment des royaumes d’Aviz envers les hommes aux yeux violets. Leurs descendants en payaient encore le prix et le racisme à leur égard était un fait inéluctable.

March lui tendit le flacon qu’elle fit disparaitre sous sa veste.

— En tout cas, c’est ingénieux, dit-il. Tu as des talents de botaniste.

— J’ai toujours aimé les fleurs, peut-être parce qu’elles sont si rares sur Ehz-Ilateb.

— La vie y est vraiment aussi difficile qu’on le dit ?

— Pour être honnête, je ne me souviens plus très bien, mais une chose est sûre, mes parents ont voulu fuir quelque chose de terrible pour prendre un tel risque.

— Et la Soldanelle noire, comment as-tu découvert cette propriété ?

— C’était par accident…

Sa voix trembla et March préféra ne pas insister.

— C’est quoi ce livre ? dit Saira en pointant du doigt l’ouvrage dépassant de la poche de March.

— Ah ! C’est Gomero qui me l’a offert.

Il montra à Saira la couverture.

— Tu me fais la lecture ? demanda-t-elle. On a encore une longue journée devant nous, il faut bien s’occuper.

— Je… euh d’accord, hésita March.

Il ouvrit le livre de Jeremias l’Ancien et commença la lecture.

— Chapitre I, la Genèse. Au commencement, Heimur était un monde informe et vide…

March continua la lecture et Saira l’écouta silencieusement alors que la calèche arpentait la voie dorée. Pour March, ce fut un moment de sérénité, en compagnie d’une personne qui avait un passé aussi obscur que le sien. Pour cette raison, ils semblaient tous les deux se comprendre. Malgré son amnésie, il était certain de n’avoir jamais éprouvé un tel sentiment et il redoutait déjà de devoir lui faire ses adieux une fois arrivés à Caetobria.

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