《La Loi du Mystère [French]》Chapitre 3.3 - La banque

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March passa le reste de la nuit caché derrière l’établissement du tailleur. Il ne ferma pas l’œil, trop inquiet d’être découvert par la milice et aussi trop désorienté par les évènements qu’ils venaient de vivre. Qui était-il exactement ? Et comment pouvait-il utiliser la Magie ? Il n’avait pour l’instant pas de réponse à ces questions, mais il espérait que son coffre-fort lui en dirait plus.

En attendant, il devait comprendre le fonctionnement de ses pouvoirs et décida d’enquêter sur les spirales noires recouvrant ses bras depuis l’épaule. Elles couraient tout le long de ses membres sans jamais s’entrecroiser et se terminaient sur le revers de ses mains en dessinant une forme évoquant la mâchoire d’un carnassier. À en juger par les tatouages sur son dos, ceux-là devaient aussi être magiques.

Pourtant, il hésita un long moment, assis dans l’obscurité, scrutant ses mains sombres. La Magie était dangereuse et il ne voulait pas attirer encore une fois l’attention sur lui.

L’aube se levait déjà lorsqu’il se résolut à prendre le risque. Il se concentra sur ses mains et sur la sensation qu’il avait ressentie en invoquant ses cimeterres magiques. Rien ne se passa.

Il se demandait quel type d’armes allait surgir dans la paume de ses mains. Peut-être devait-il connaitre leur aspect pour les invoquer ? Mais… pourquoi des armes ? March réalisa que son imagination s’était figé sur la forme des cimeterres et non sur dessins tatoués sur ses bras.

Il se focalisa de nouveau, mais cette fois au lieu d’attendre une apparition physique, il ferma les yeux et visualisa les spirales noires. La vague de froid maintenant familière parcourut ses bras. Puis…

— Mais que faites-vous là ?

March perdit sa concentration et la sensation s’évanouit comme un rêve. Il leva le regard vers le tailleur posté devant lui.

— Je… je suis venu récupérer ma commande.

— Peuh ! qu’est-il arrivé à vos habits… si l’on peut les nommer ainsi ?

March observa son torse nu et son pantalon taché de sang.

— Disons que la Ville-Basse n’est pas des plus accueillante.

Le tailleur déverrouilla la porte arrière de son magasin.

— Bah ! plus tôt vous serez servi et plus tôt je pourrais m’acquitter de cette maudite dette ! Venez donc !

March entra derrière lui et s’installa sur un tabouret désigné par le tailleur. Il revêtit les nouveaux habits pour que l’artisan ajuste les derniers détails. Une fois terminé, le tailleur l’invita à examiner la tenue devant un grand miroir.

Le tailleur avait respecté les souhaits de March. Il portait une chemise blanche à col montant, une veste à coupe basse et une longue redingote noire. Il avait aussi choisi un simple pantalon noir. La seule excentricité était les boutons décoratifs ajoutés aux poignets de sa redingote. C’était un habit riche, mais discret.

Bien que ses cheveux aient poussé depuis qu’il avait été repêché par l’Imbattable, ils étaient toujours très courts, et juraient avec les chevelures mi-longues des habitants fortunés de Drachima. On devinait aussi les tatouages sur son crâne et la marque blanche de sa cicatrice. Il ne passerait pas inaperçu facilement.

— Il me faut un chapeau, dit-il au tailleur.

— Ah ! Monsieur se décide enfin à être raisonnable !

Le tailleur sortit de ses étagères une dizaine de chapeaux tous plus farfelus les uns que les autres. March tourna son regard vers une boîte poussiéreuse au sommet des étagères.

— Et celui-là ? demanda March en pointant du doigt la boîte à chapeau.

Le tailleur se retourna avec désarroi et présenta à March un simple chapeau haut de forme.

— Mais… ce type de chapeau n’est plus en vogue depuis au moins trois ans !

— Il ferra l’affaire.

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March enfila le chapeau et aperçut le dos de ses mains tatouées dans le reflet du miroir. Le tailleur lui tendit une paire de gants noirs, sans qu’il l’ait demandé.

— Ils cacheront ces monstruosités ! dit le tailleur.

March accepta le cadeau malgré la remarque. Il ne remercia pas le tailleur et se dirigea vers la porte avant du bâtiment. Le tailleur l’appela une dernière fois avant qu’il ne passe sorte.

— Et que suis-je censé faire de ces détritus ? dit-il en pointant du doigt les vieux habits de March.

— Brulez-les, dit-il en claquant la porte derrière lui.

Il se mit immédiatement en route vers la banque, qui n’était qu’à quelques minutes de marche. La banque Holstein et Sienna surplombait le reste de la ville. L’établissement n’était pas particulièrement large, mais ses quatre tours couvertes d’or le faisaient briller sous le soleil de plomb.

March se présenta devant la banque, gardée par deux soldats en armure lourde scintillante. Les gardes ne dirent pas un mot lorsqu’il passa les lourdes portes dorées de la banque. L’intérieur du bâtiment était fabuleux, mais ne surprit pas March, il savait à quoi s’attendre sans même se rappeler avoir visité un jour ce lieu.

D’énormes lustres de cristal illuminaient la banque depuis son plafond empli de moulures dorées. Les comptoirs auxquels se trouvaient déjà quelques clients étaient faits d’un bois sombre, si polis qu’on n’aurait presque pu y admirer son propre reflet. Des tentures murales rouges donnaient au tout un sentiment de chaleur.

À cette heure, la banque était peu fréquentée, March compta cinq clients et une dizaine de guichetier. Une vingtaine de gardes s’éparpillaient aux quatre coins de la salle pour en assurer la sécurité. March se surprit lui-même de tous les détails qu’il pouvait observer en si peu de temps. En un bref coup d’œil, il avait déjà étudié les routes possibles pour s’échapper de la banque en cas de pépin, comme un réflexe ancré au plus profond de lui.

Son attention fut attirée par un guichetier haussant la voix devant lui.

— Madame, s’il vous plait soyez raisonnable ! dit le guichetier.

— Raisonnable ! Vous savez très bien que sans cet argent toute mon opération tombe à l’eau ! dit la femme.

Elle portait un veston en cuir sans manches passé par-dessus une chemise ample. Son couvre-chef de feutre aux larges bords rappela à March les marchands de bétail sillonnant les steps du nord d’Algrava. En somme, elle s’habillait comme un homme et dans un tel établissement, elle brillait aussi fort qu’un phare sur la mer brumeuse.

— Sales bureaucrates ! Dès qu’il s’agit de prendre quelques risques pour épauler des entrepreneurs, vous filez la queue entre les jambes, c’est ça ?

— Madame, je vous l’ai dit, notre établissement ne peut vous aider. Maintenant, veuillez sortir avant que je n’appelle la garde, dit-il en faisant déjà signe à un garde d’approcher.

— Oh ! ne vous fatiguez pas ! Je saurais trouver mon chemin, dit-elle en tournant le dos au guichetier.

Elle passa à côté de March et il put sentir son parfum. L’odeur lui rappela un vieux souvenir qu’il ne pouvait placer. La furie sortie en trombe de la banque, renversant sur son passage un porte-manteau installé près de l’entrée.

Le guichetier s’exaspéra. March se dit qu’il valait mieux trouver un employé moins courroucé. Il repéra un guichetier occupé à traiter une pile de documents et se dirigea vers lui. Son comptoir était en retrait et offrait plus de discrétion à March. L’employé de la banque ne releva même pas le nez de sa paperasse lorsque March se présenta devant lui.

— Bienvenue à la banque Holstein et Sienna, dit-il d’une voix nasale. Que pouvons-nous faire pour vous ?

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— J’aimerais examiner un coffre, dit March en posant sa clef sur le comptoir de bois.

Le guichetier scruta la clef. Il releva immédiatement le visage vers March puis se leva pour le saluer.

— Monsieur de Tassigny, pardonnez-moi ! Je ne vous avais pas reconnu. J’imagine que vous voulez voir votre coffre ?

March fut surpris qu’on le reconnaisse. Et ce nom, Monsieur de Tassigny, était-ce le sien ?

— Euh ! oui, s’il vous plait. Vous rappelez-vous la date de ma précédente visite par tout hasard ? Je… voyage énormément ces derniers temps !

— Oh, je n’en doute pas ! Le commerce de Monsieur doit se porter à merveille ! Nous ne vous avons pas vu depuis longtemps. Il me semble que vous n’êtes pas venu dans notre établissement depuis l’installation du second coffre.

— Second coffre ?

— Oui. Vous avez demandé à installer un second coffre lors de votre dernière visite, c’est bien à celui-là que correspond cette clef, n’est-ce pas ?

— Euh… oui, suis-je bête, j’avais presque oublié !

— Ah ! C’est l’inconvénient de notre banque, les coffres sont si bien gardés qu’on en oublierait presque qu’ils sont là !

Le guichetier se mit à rire de sa propre boutade. March sourit par politesse.

— Et le premier coffre, pourrais-je le voir lui aussi ?

— Avez-vous votre clef ? dit le banquier en reprenant son sérieux.

— Malheureusement non, pas sur moi.

— Je suis navré Monsieur, mais vous connaissez la politique de la maison. Pas de clef, pas de coffre !

— Bien entendu.

Le guichetier emboîta le pas à March vers la salle des coffres. Ils longèrent d’abord un interminable couloir tapi de velours rouge. Les portraits des membres du Conseil des douze étaient suspendus aux murs, d’un côté les Holstein et de l’autre, les Sienna. Ils passèrent ensuite une succession de portes de métal qui semblaient impénétrables. Le guichetier déverrouilla enfin une dernière porte ouvrant sur une petite pièce basse de plafonds. La totalité des murs était couverte de petits compartiments présentant tous un trou de serrure ainsi qu’un numéro.

— Coffre numéro 2403, dit le guichetier en pointant du doigt un compartiment sur le mur de gauche.

March s’approcha pour insérer la clef. Il tourna vers la droite et entendit le mécanisme s’enclencher derrière la serrure. Le compartiment s’ouvrit et le guichetier en sortit une petite boîte de métal qu’il alla poser sur une table recouverte d’un tissu de velours au centre de la pièce.

— Je vous attendrais à l’extérieur, dit le guichetier en quittant la pièce.

March s’approcha de son coffre et l’ouvrit. À l’intérieur se trouvait un écrin noir, une dague courte dans son fourreau ainsi qu’un rouleau de parchemin.

Il examina d’abord la bourse qui révéla assez d’or pour s’acheter une modeste résidence dans la Ville-Haute. Il prit ensuite la dague et inspecta la lame en acier parfaitement aiguisée. Il attacha le fourreau à sa ceinture, hors de vue sous sa redingote. Trouver une arme dans ce coffre le surprit. S’il pouvait invoquer ses cimeterres, pourquoi avait-il besoin d’une arme supplémentaire ?

Il garda la question pour plus tard et déplia le parchemin. Il s’agissait d’un titre de propriété pour une demeure à Caetobria, la capitale d’Algrava. Il reconnut le nom du bénéficiaire, Léon de Tassigny, le même nom utilisé par le guichetier. Une adresse figurait au milieu du parchemin. Ma prochaine destination, se dit March. Il empocha le parchemin et la bourse, replaça le coffre vide dans son compartiment en prenant soin de le verrouiller et de récupérer la clef. Alors qu’il sortait de la pièce, il entendit une conversation dans le couloir.

— … il est censé être mort, dit une voix inconnue. Nous devons informer les autorités !

— Mais, Monsieur le Directeur, puisque je vous dis que c’est lui ! dit le guichetier. Il a coupé ces cheveux, mais c’est bien Léon de Tassigny !

March choisit ce moment pour se dévoiler au nouveau venu qui le scruta de haut en bas.

— Monsieur de Tassigny ! s’écria le directeur de la banque. Quel plaisir de vous voir !

Le directeur était un petit homme rondelet. Ses habits étaient teints du même rouge criard tapissant les murs de la banque.

— J’ai fini d’examiner mon coffre, dit March. Je saurais trouver mon chemin vers la sortie.

— N’en faites rien, dit la voix suave du directeur. Il se trouve que j’ai un merveilleux vin de Bourgonnie dans mon bureau. Un connaisseur comme vous ne manquerait pas une chance de le déguster, n’est-ce pas ?

— Ça aurait été avec plaisir Monsieur le Directeur, mais je dois m’empresser de partir, j’ai des affaires qui m’attendent.

— Monsieur de Tassigny, permettez-moi d’insister, dit le Directeur en prenant March par le bras.

La ténacité de son geste n’avait rien d’une invitation.

— Veuillez me lâcher le bras, commanda March.

Le sourire du directeur ne disparut pas, pourtant les grosses gouttes de sueur sur son front trahissaient son anxiété.

— Je dois insister, Monsieur, dit le directeur.

— Dans ce cas, je dois aussi insister, dit March en dévoilant la dague sous le pan de sa redingote.

Le directeur lâcha immédiatement March.

— Je vous conseille de ne pas me suivre, dit-il en se dirigeant vers le hall d’entrée.

March pressa le pas, mais à peine passé le premier comptoir, il entendit le directeur crier derrière lui.

— Gardes ! Arrêtez cet homme !

Deux miliciens en armures bloquèrent aussitôt la sortie principale. Les autres dégainèrent leurs épées et commencèrent à encercler March. March était en infériorité numérique et même à l’aide de ses armes magiques, combattre une dizaine de soldats en armure était un risque qu’il ne voulait pas prendre.

Les clients de la banque se mirent à courir à l’abri, s’écartant de March comme d’un lépreux. Les gardes se rapprochaient de plus en plus, le forçant à se rabattre près d’un mur.

March se retourna, l’unique sortie en vue était la haute fenêtre derrière lui, mais elle était à au moins dix mètres du sol.

Il regarda ses mains, puis retira ses gants par instinct. Ses lames n’étaient pas les seules armes magiques dont il disposait, il le sentait au fond de lui.

March se concentra, comme il l’avait fait avant d’être interrompu par le tailleur un peu plus tôt. La vague de froid parcourut ses bras et une étrange pression se forma dans le creux de ses mains. Il pointa ses paumes vers les soldats et une rafale de vent propulsa deux d’entre eux au sol.

Le vent, c’était ça son pouvoir ! Comme pour le tatouage sur son dos, il se souvint tout à coup de ses capacités et de leurs possibilités.

Il tendit ses bras vers le sol et invoqua une nouvelle trombe de vent, qui le catapulta dans les airs. Il atterrit sur le rebord de la grande fenêtre.

Des murmures se formèrent dans la banque : « un Mage, un Mage est en vie ». Il se tourna une dernière fois et vit le directeur apposer son pouce sur son front, le signe de prière aux Saint-Mages.

Ce qu’il venait de faire n’était peut-être pas une bonne idée après tout, mais il n’avait pas d’autre choix.

March brisa la fenêtre d’un coup d’épaule et sauta dans le vide.

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