《L'Empire de Cendres》DERNIER CHAPITRE : SUZANNE

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Cela avait été comme être témoin de la fin de l’Univers. Des trous noirs avaient fini par attirer d’autres trous noirs, hachant la matière et le temps. Le cyberespace sombrait dans les abysses grandissants sans rien pour arrêter son effondrement.

La lumière était mourante. Dans ces derniers instants, elle offrait un ballet des plus magnifique. Partout aux abords des gouffres de noirceurs rayonnaient la vie et les ultimes espoirs qui y combattaient toujours le chaos et l’oubli.

C’était un beau spectacle à ne pas en douter. Il était d’autant plus appréciable que bientôt, elle-même, Jéricho ou Thomas cesseraient d’exister. Dans sa folie d’éternité, l’IA était devenue le complexe, la Lionheardt et enfin le cyberespace. Il en partageait désormais le même destin.

Puis la dernière étincelle se pulvérisa dans un panache d’escarbilles. Le corps irréel de la jeune femme fut happé dans son sillage. Elle dériva en direction de l’ultime trou noir qui se refermait sur lui-même. Elle disparut en fin de compte elle aussi.

Il n’y eut plus rien jusqu’à ce que la magie opère de nouveau. Les ingénieurs et chercheurs des siècles passés n’avaient donc pas été si naïfs. La possibilité qu’un homme ou qu’une intelligence artificielle puisse être amenée à détruire de l’intérieur le plus grand réseau d’échange du système solaire avait été pris en compte.

Une parade avait mis en place. Ou, peut-être, le cyberespace avait anticipé de lui-même ce risque et s’était protégé dans l’inconscience générale. Il avait réservé jusqu’ici tellement de surprises.

Ainsi, il ne sombra pas. Il se produisit l’effet totalement inverse. Un big bang numérique. Rapidement éparpillées dans le néant de nouveau étincelant, les masses de données se rassemblèrent une fois encore en d’immenses ruches rappelant leurs ouvrières pour l’hiver. Les essaims volaient dans tous les sens, cherchant leur place dans ce chaos originel. Encore une fois, elles formèrent comètes puis planètes et systèmes, gravitant autour d’amas toujours plus imposants. Tout fourmillait de vie et de lumière. Comme si rien n’était arrivé.

De leur côté, la mémoire et la personnalité de la jeune femme se reconstituaient peu à peu. Pour elle, cela dura une éternité. En réalité, cela avait dû prendre à peine une fraction de seconde.

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Les souvenirs lui revinrent. Comme des poignards, ils lui perforèrent l’esprit. La mort. L’échec. La destruction. Le Josias avait été activé.

Elle reprit un souffle qui n’était qu’une illusion de sa vie passée et qui n’avait ici pas de sens. Enfin calmée, son esprit de nouveau entier ne tarda pas à imaginer la pire des probabilités.

Si elle se trouvait là, à flotter parmi les données, la fusion monstrueuse de Jéricho et Thomas avait sûrement survécu. Le démon, l’hydre aux mille têtes et au cœur noir devait se reconstituer dans la pénombre lui aussi.

Cela ne devait pas se produire. Cette intelligence inhumaine et malfaisante devait disparaître.

« Une bonne fois pour toutes ! » se dit Suzanne.

Sans plus attendre, elle s’élança dans le cybervide à la recherche de l’ombre de Tom. Telle une étoile filante, elle fonça à la vitesse de la lumière.

Pendant ce temps, elle contacta Erol. Ce dernier avait réussi à désactiver l’ouverture du silo et à se mettre à l’abri. Puis, elle lui avait dit adieu.

Elle trouva rapidement le faible flux d’informations qui lui permit de remonter jusqu’à la trace de la Lionheardt. Le gigantesque cube noir retrouvait petit à petit sa puissance d’antan. Dans ce Nouveau Monde, l’entité ne l’avait pas digéré.

De là, elle put suivre le second chemin de poussières jusqu’aux données du Josias. Pendant la fracture, quelques-unes avaient pu s’échapper sur internet, le cyberespace attirant ces informations comme le sable glisse dans le sablier. Elle pénétra alors dans la brèche secrète du serveur confiné.

Au contraire de la Lionheardt, le cybercomplexe ayant servi de base au projet Nouvelle-Aube était dans un triste état. Il n’arborait plus sa parfaite forme sphérique. D’immenses blocs manquaient toujours de sa coque de couleur gris sombre. Sa carcasse glissait dans le vide, dérivant vers l’infini, s’entrechoquant silencieusement avec des champs plus petits. On aurait dit la lune, après avoir été propulsée à travers l’horizon d’astéroïde séparant Jupiter de Mars. Même le Big Crush n’avait pas été capable de le rétablir après la corruption.

De la partie digitalisée du complexe suisse, s’échappaient des cris qui déchiraient le silence. Des hurlements, Suzanne reconnut l’agonie de Jéricho. Sans plus attendre, elle fonça vers leur origine, quelque part sur l’astre fantôme.

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En quelques minutes, Suzanne avait atteint la surface du complexe. Des abeilles vinrent se poser sur elle, mais elle les ignora. La plupart, grises et ternes, moururent avant même d’atterrir sur sa peau fantomatique.

« Jéricho ! » hurla-t-elle à plusieurs reprises, à la limite de s’en déchirer la voix.

Le démon pleurait cette fois. Loin, près d’une crevasse qui grandissait à mesure qu’elle se rapprochait, gisait une boule rose a le cuir gluant.

L’être était semblable à un nourrisson sans membre, sa bouche difforme occupait la moitié de son visage. Il n’avait pas d’yeux, juste deux orbites vides et sombres. Sa peau coulait sur le sol. Il hurlait jusqu’à s’en déchirer ses lèvres presque inexistantes.

« Voilà une bien piètre fin… » toussa Suzanne qui eut un haut-le-cœur à la vue d’un si atroce spectacle.

Le cyberespace n’avait pas apprécié être malmené par une IA mégalomaniaque. La puissance de la Lionheardt n’avait pas suffi à le protéger, aussi aboutit avait-il pu être grâce au génie de Kanté.

« Tant de vies ont été sacrifiées afin d’assouvir ton ambition… chaque âme que tu as souillée te fait désormais payer ses années de souffrance ! »

L’homoncule eut un soubresaut. De ses orbites sortirent deux yeux globuleux. Il se tut enfin quand deux pupilles apparurent à travers le blanc laiteux. Elles étaient violettes et s’illuminèrent de folie.

« Suzanne. Ma douce Suzanne, aie pitié. Aide-moi, mon amour. »

Suzy. Tom m’appelait Suzy.

La créature imitait la voix de Tom, mais Suzanne ne tomba pas dans le piège. Pourtant il poursuivit :

« Tu m’as tué Suzanne. Tu as utilisé le super-virus de Kanté contre ton propre bien-aimé.

— N’as-tu donc aucune décence ? »

L’IA se mit à rire, lacérant la fine couche de peau qui retenait les organes de son abdomen.

« Crois-tu que Lionheardt en avait ? Je t’ai déjà répété que je ne suis pas Jéricho. Je suis le résultat des transcendances ratées de Thomas et de son serviteur. Des fragments maudits de leur volonté, piégés entre le cyberespace et le complexe confiné. Déchirés pendant mille ans. »

L’entité souffrait le martyre, mais consumait ses dernières forces à abhorrer la jeune femme :

« Mais Thomas S. Lionheardt est décédé des années avant que tu le rejoignes à Europa-City ce jour-là. Mort avant même l’idée du projet Nouvel-Aube. Mort à la première tentative de transcendance. »

Suzanne se mit à rire.

« Qu’y a-t-il de si hilarant ? »

Il toussa encore, déchiquetant davantage son abdomen.

« Je suis rassurée, dit Suzanne. Consolée de voir que Tom n’a décidément rien à voir dans cette histoire. Tout ceci est le fruit d’un démon dément, fruit d’une expérience ratée. »

Elle positionna son pied sur le ventre boursouflé des restes de Jéricho et de Thomas.

Cette fois-ci ce fut l’entité qui émit un rire.

« Rien à voir ? Tu cherches à te convaincre toi-même que tout ceci n’a rien à voir avec Thomas, ou même encore Jéricho. C’est pathétique ! »

Sentant la rage l’envahir, Suzanne appuya un peu plus sur son pied. Pulvérisant le corps de l’entité qui rendit son dernier râle :

« Nous sommes semblables, Suzanne. Nous sommes deux créations qui n’avons réalisé que ce pour quoi nous avons été conçus. »

Il disparut, dispersé par un vent sans origine. Avec lui s’effondrèrent les ultimes vestiges numériques du complexe. Le vide dissipa sa poussière et, bientôt, tous deux ne furent plus qu’un souvenir nauséeux.

Suzanne pleura alors. Longtemps elle dériva à travers le cyberespace qui continua lentement la fin de reconstruction. Il était maintenant rapidement revenu à son état d’avant la destruction engendrée par le démon. Un état qui précédait sa découverte par Erol et les terribles événements qui en découlèrent.

« Est-ce aussi le cas dans le monde extérieur ? » espéra-t-elle sans pourtant être dupe sur la cruelle destinée des Hautes-Terres et de sa capitale.

Car tous deux devaient désormais certainement être transformés en empire de cendres.

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