《L'Empire de Cendres》CHAPITRE 23 : EROL
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Erol retrouva Suzanne dans la pièce juste en face. Elle s’était recroquevillée dans un cercueil similaire à celui dans lequel il l’avait trouvée quelques jours auparavant. Avec le retour du courant, le prototype de cryotube s’était mis en marche et dispensait une agréable lumière blanche dans la salle.
« Comment te sens-tu ? » osa-t-il demander en s’assaillant sur le rebord.
Un message sur l’écran tactile interne indiqua que le sarcophage était actuellement en train de se recharger pour un usage hors système. Ils étaient de nouveau bel et bien coupés du monde.
« Je n’y crois pas vraiment, lui répondit Suzanne la voix éteinte. Cette femme dans le bureau…
— Elle ? On s’en fiche, non ? Elle est morte et desséchée.
— C’était moi, Erol. Enfin… je ne sais pas.
— Ce n’était pas toi. Toi tu es là, à respirer cette poussière…
— Tu as une drôle façon de remonter le moral.
— Tout ça, c’est la faute de Thomas Lionheardt. Malheureusement, lui et ses petits copains n’ont toujours pas lâché l’affaire. »
Il tourna le regard vers le bureau où avait péri Suzanne Courtois, mille ans auparavant.
« Mais, grâce à son humble serviteur au bras de fer, l’humanité possède une deuxième Suzanne Courtois sous la main pour finir le travail. »
Suzanne sourit. Elle avait déjà pris la direction des restes du bureau de Tom. La jeune femme semblait de nouveau déterminée et cela réjouit l’archéologue.
Le cercueil se referma. Il grimaça quand il vit les câbles se remplirent de fluide blanc depuis un réservoir adossé au mur. Puis, ne voulant pas s’attarder davantage, il rejoignit Suzanne.
« Tout correspond à tes… tes souvenirs ? » demanda-t-il en balayant les débris des combats passés.
Suzanne, toujours silencieuse, désigna du doigt les deux carcasses métalliques inertes. Erol s’en approcha et commença à les dégager.
Entre elles, recroquevillé sous le dossier du fauteuil, un autre corps desséché apparut. Comme son ancienne acolyte, il avait été momifié par le temps.
Mais son cadavre était différent. Sa peau était noire, comme carbonisée. Ses vêtements n’étaient que des lambeaux gris, collés à son épiderme craquelé. Sur sa tête était posée une couronne de câble et de circuits reliés au plafond par un bras en caoutchouc à moitié brûlé.
De la pointe de son épée, Erol écarta la mâchoire déjà entrouverte de leur hôte et il s’aperçut que ses dents avaient éclaté puis fondu. Ses os craquèrent sous la pression du métal.
Si l’impact de balle visible sur son cou n’avait pas causé son décès, cet individu avait certainement eu l’une des morts les plus atroces qui soient quelques minutes après.
« Sais-tu ce qui recouvre sa tête ? C’est le même dispositif que tu as utilisé avec Byte, non ? On dirait que ça l’a grillé sur place en tout cas.
— Montre-moi », répondit Suzanne en se rapprochant du cadavre.
Puis elle s’arrêta.
« Tom ?
— Il y a de fortes chances.
— Tu me l’avais pourtant dépeint si charmant. Des hypothèses ?
— Il s’est bel et bien finalement transcendé. Une couronne métallique de cet acabit n’était pas un simple casque de cyber-réalité, pour un plongeon.
— À partir de ça, vraiment ? C’est du bricolage !
— N’oublie pas que Thomas Lionheardt était l’homme le plus brillant de la fin de XXIe siècle.
— Et il a fini grillé comme… que fais-tu ? »
Suzanne avait saisi la couronne d’acier qui encerclait le crâne de Thomas. Dans son effort pour extraire le dispositif, elle arracha la tête du défunt qui se réduisit presque instantanément en poussière.
Elle possédait la même délicatesse que lui en faveur des trépassés. Suzanne aurait fait une merveilleuse associée.
Mais peut-être que pour cela, il n’était pas trop tard, pensa Erol.
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« Étrangement le module a l’air en plutôt bon état. On dirait que seul son corps ait subi des dommages ? fit-elle remarquer.
— Un courant électromagnétique très puissant l’a instantané séché. Un incendie depuis le dispositif aurait fait brûler toute la pièce », commenta l’archéologue avant de saisir le boîtier jaune depuis lequel Lionheardt avait dû lancer son programme de copie cérébrale.
À peine avait-il pu en apprendre davantage que les consoles clignotèrent comme des guirlandes de Noël. La salle de contrôle se remit en marche à la suite d’un long bip qui ressemblait plus à une agonie qu’à une renaissance. Les terminaux arborèrent un fond bleu azur et le logo de la Lionheardt Corporation se dessina sur l’affichage principal.
À quelques pas d’Erol et Suzanne, un bloc de serveur se déroba, faisant apparaître une porte blindée. Le cercle rouge de sa console qui indiquait jusqu’ici son verrouillage tourna au vert et le battant d’acier s’ouvrit sous les ordres d’une voix féminine perçante.
Erol attrapa le bras du Suzanne et la plaqua derrière le cadavre de l’une des Sentinelles. Profitant d’un interstice entre la mitrailleuse frontale et le reste du blindage, l’archéologue put continuer à sonder la pièce du regard.
« C’est qui ça ? Une Inquisitrice… Maev ? Par où a-t-elle pu passer ? » chuchota-t-il à Suzanne qui avait rampé jusqu’à l’une des pattes d’acier de la Sentinelle.
Celle-ci se contenta de lever ses épaules. Si Maev était accompagnée de l’esprit transcendé de Lionheardt, il était évident qu’elle connaissait désormais tous les secrets du complexe. Cette traverse de secours y comprise.
Sainte Maev, fondatrice et commandante de l’Inquisition, portait un costume de voyage composé d’un corset de cuir rouge. Son pantalon de la même couleur était fendu au niveau des cuisses.
Elle aboya ses ordres à la dizaine de Paladins qui l’avait conduit. En armure assistée et épaulés de drones, ils n’avaient plus à faire à l’Inquisition ordinaire, mais aux sections spéciales.
Les Paladins établirent un cercle autour de la console principale qui avait fait l’objet du sabotage de l’ancienne Suzanne. L’un des deux jeta un regard du côté des Sentinelles, mais ne remarqua pas la présence des deux autres visiteurs.
« Madame, la plupart de ces consoles sont inutilisables », glapit un ingénieur recouvert d’implants.
Il tapota rapidement sur le clavier mécanique de la console, mais ne perçut aucune réponse de la part de l’ordinateur. Puis, il dépoussiéra les ports de l’unité surplombant la rangée d’écrans la plus basse.
« Que pouvons-nous faire ? » miaula Maev qui s’était approché de lui.
Ses bottes et sa grande cape noire qui pendait sur ses épaules étaient recouvertes de poussière blanche qu’elle abandonna promptement de nettoyer.
« Je vais continuer à chercher comment stabiliser le signal vers l’extérieur ! »
L’ingénieur désigna un énorme port carré, un peu plus loin sur les consoles de gauche. Lui, il se câbla à l’aide d’un fil qui sortait du bout de son index.
« Hâtez-vous ! La défragmentation doit se poursuivre. »
Erol et Suzanne furent témoins de la scène.
« Défragmentation ? Je ne comprends rien ou ce type va réactiver le Josias ! Il faut les en empêcher ! grogna Erol les yeux rivés sur l’ingénieur et son implant.
— Tu peux soulever la mitrailleuse de la Sentinelle ? demanda Suzanne, déjà en train de forcer le capot qui recouvrait l’un des flancs de la bête d’acier.
— Tu es folle ? Ils vont nous repérer ! lui répondit Erol entre ses dents.
— À trois, tire le bras vers toi.
Suzanne avait désormais les doigts plongés dans les circuits.
« Un.
— On va se faire tuer !
— Deux. »
Elle est insensée !
« Trois ! »
Erol tira vers lui la lourde mitrailleuse, faisant crisser les amortisseurs en gomme qui encombraient sa base. Suzanne, quant à elle, retira ses doigts de la trappe de maintenance de la Sentinelle qui vomit une gerbe d’étincelles.
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Tout se passe très vite. Emportée par son propre recul, la tourelle cracha ses dernières réserves de munitions. Chaque semonce expulsa une balle grosse comme un pouce dans un fracas à rendre sourde la ville qui dormait encore à quelques centaines de mètres au-dessus de leur tête.
La première salve faucha les Paladins comme du blé mûr. Pulvérisés, les restes des hommes qui étaient les plus proches d’Erol et Suzanne furent plaqués contre les consoles. Les écrans les plus bas volèrent en éclat. Les quelques drones toujours intacts furent mis hors courses grâce aux gerbes d’électricité qui émanèrent des serveurs tapissant les murs.
Après la pluie de plomb, il ne resta qu’une poignée de soldats de l’Inquisition qui avaient pu battre en retraite dans le couloir par lequel ils étaient arrivés. Maev ne figurait pas parmi les victimes.
L’ingénieur, quant à lui, avait été cloué au plafond. Son implant et les vestiges de son bras et de son épaule pendaient toujours du port de connexion de la console.
« Erol ! Je vais décrocher l’ajout de ce type. Va fermer la porte ! »
Erol ne répondit que d’un beuglement désarticulé. La salve de tir l’avait rendu complètement sourd. Néanmoins, quand la jeune femme pointa la porte de secours, il comprit ce qu’il avait à faire.
Suzanne prit la direction de la console tandis qu’il sauta par-dessus la Sentinelle. De l’autre côté, il tomba nez à nez avec la Sainte. Ils jurèrent simultanément puis Erol frappa le premier, directement le visage de son adversaire.
Mais lorsqu’il tenta un nouveau coup, une douille glissa de la carcasse du robot scarabée et vint lui brûler le cou. Dans un effort désespéré pour s’en débarrasser, Erol roula sur le flanc et Maev en profita pour filer vers la sortie.
De la porte, les quatre Paladins qui avaient survécu à la salve meurtrière firent de nouveau irruption. Les deux premiers, maniant de gigantesques boucliers qu’Erol n’avait pas vus jusqu’à présent, protégèrent leur supérieure.
De derrière, les deux autres ouvrirent le feu avec des armes beaucoup plus imposantes que leurs prédécesseurs. Chaque tir soulevait la poussière des murs.
« Suzanne ! » hurla Erol en retournant derrière la Sentinelle.
Sans avoir pu déconnecter l’implant, Suzanne fit volte-face. En, tentant de se remettre à couvert, la jeune femme fut touchée à l’abdomen et au cou. Sous le choc, elle manqua de trébucher, mais parvint finalement à le rejoindre.
« Suzanne ! Non ! » vociféra Erol.
Puisant dans ses forces, elle réussit à rapporter du bout du pied l’un des fusils mitrailleurs dans la direction de l’archéologue qui le saisit. Il vida tout le premier chargeur jusqu’à forcer l’Inquisition à reculer.
« Tu es touchée ! »
Le sang bleu de Suzanne coulait. Les balles à haute pénétration n’avaient eu aucune pitié pour leur contemporaine. De la main gauche, elle maintenait sa tête en place. Le projectile lui avait arraché une partie du cou.
« Erol...
— Tu parles d’une secte anti-technologie. Regarde-les, ces fumiers hypocrites ! »
L’archéologue avait posé ses deux mains sur le ventre de la jeune femme pour arrêter l’hémorragie. Il vit rapidement que cela était peine perdue. Les nanoparticules étaient à l’œuvre, mais trop de ce sang miraculeux allait être gaspillé avant. La blessure était trop grave, même pour un clone.
« On va trouver ces gelotubes. On va te réparer… te soigner.
— Ce qui m’inquiète c’est plutôt ça », lui confia Suzanne, la bouche remplie de sang bleu.
Sur les écrans encore intacts, le logo de la Lionheardt avait disparu. À la place, il y avait une barre de chargement violette presque entièrement pleine.
Du coin de l’œil, l’archéologue vit l’Inquisition avancer de nouveau. Il vida son second chargeur. Les moniteurs virèrent au mauve et l’ensemble du complexe sombra dans l’obscurité et le silence. Même les ventilateurs du poste de contrôle s’arrêtèrent soudainement.
Empli de rage, il tira et tira encore. Il entendit un homme hurler et l’un des boucliers d’acier tomber sur le sol. Du coin de l’œil, il continua de surveiller la jeune femme qui baignait dans une mare bleue scintillante. La blessure de son cou était en train de se refermer, mais celle du ventre saignait toujours abondamment.
Quand le courant revint, il s’aperçut que les deux tireurs de l’Inquisition étaient à découvert à côté de la console. Sans hésiter, il décocha une ultime salve qui les faucha tous les deux.
Une balle frôla la joue de la Sainte qui se tenait aux côtés de la console. Elle enragea avant de s’esclaffer d’un rire dément. Dans sa main se trouvaient les implants de l’ingénieur qu’elle brisa sous son talon.
« C’est fini, Feuerhammer. Voyez par vous-même. Le grand Thomas Lionheardt est de retour chez lui. En entier ! »
Lionheardt ? Entier ? Mais de quoi parle-t-elle ? Et le Josias ?
Elle reculait derrière la porte blindée avec ses hommes. Ceux-ci avaient maintenant l’épée au clair.
« Tuez-les, tuez-les tous les deux ! Et rapportez-moi la tête de la fille… ou broyez-la !
— Suzanne ? »
Absente, Suzanne fixait les écrans.
« Suzanne ! Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Erol. Je peux garder ces guignols en joue, mais à l’instant où ils vont se rendre compte que je n’ai plus de balles ils vont nous foncer dessus.
— J’ai toujours ton pistolet.
— Oui ! Tu as raison. »
Elle lui donna alors l’arme.
« Maintiens-les à distance, je vais me transcender.
— Quoi ? Tu es cinglée !
— Il y a tout équipement pour, et la console de contrôle est encore intacte, répondit-elle sans écouter tout en rapprochant du bout des doigts la couronne de transcendance et son boîtier d’activation.
— Arrête ! Tu vas griller toi aussi ! »
Suzanne avait déjà endossé le casque de câbles. Derrière lui, Maev avait ordonné à ses hommes de lancer l’ultime assaut.
« Tu peux relever le disjoncteur sur le côté ? »
Surveillant par-dessus la carcasse de la Sentinelle l’avancée des deux derniers Paladins, Erol saisit le boîtier jaune. Du bout de son épée, il gratta le plastique fondu qui avait bloqué le disjoncteur et l’activa.
« Il doit y avoir un autre moyen, bégaya Erol les mains pleines de ce sang bleu qui ne semblait jamais s’arrêter de couler.
— Peut-être. Mais celui-ci me paraît une bonne alternative. Je vais essayer de stopper Tom. Toi, fais directement sauter le système mécanique du silo. Ton dispositif de navigation t’indiquera où il est. Si l’un de nous deux réussit, on aura gagné !
— C’est donc ici que nous nous disons adieu, prophétisa Erol.
— Il y a de fortes chances, je le crains. Mais ne soyons pas trop tristes. C’est déjà un miracle que nous nous soyons connus.
— Cela fera une sacrée histoire à raconter si je survis.
— Tente le tout pour le tout, Erol. Puis, cherche des modules de cryogénisation. Si jamais j’échoue, l’explosion soufflera le complexe, mais peut-être que tu auras l’opportunité, comme moi, que quelqu’un te déterre.
— Ce serait le comble de l’ironie », conclut l’archéologue avant que la sirène ne gagne en intensité.
Maev ordonna de nouveau leur mise à mort pendant qu’Erol bascula le disjoncteur.
Suzanne initia sa transcendance. Il n’y eut aucun éclair ni aucune déflagration. Les diodes positionnées au niveau des tempes de la jeune femme s’allumèrent en orange puis en vert. Les mains de Suzanne tombèrent sur le sol, dans ce liquide bleu qui avait cessé de scintiller.
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