《L'Empire de Cendres》CHAPUTRE 11 : EROL

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Dans la cité des Fondateurs, rares étaient les lieux où Erol se sentait véritablement à l’aise. De jour comme de nuit, en été comme en hiver, Renaissance était surpeuplée, bruyante et nauséabonde.

L’archéologue avait longuement arpenté les rues des faubourgs autrefois. Il connaissait chaque impasse crasseuse d’où remontait la puanteur des anciens égouts, le moindre passage où dormaient mendiants et drogués, la totalité des marchés légaux quadrillés par la police comme les repaires contrôlés par la pègre.

Le Gouffre était à l’image du reste de la ville. L’établissement prenait place au sein d’un millénaire bunker antiatomique. Les premiers survivants de l’apocalypse y avaient érigé une arène de sable et des gradins en bois accueillaient parfois jusqu’à trois mille visiteurs en fin de semaine. Au plus près de l’hémicycle se tenaient les premiers rangs, séparés des combats par une fausse à cadavre.

La foule lui garantissait un anonymat qu’il appréciait. Ce havre de la violence était un taudis malfamé, mais c’était l’un des rares trous perdus où l’on servait à boire si tard dans la nuit.

Les murs étaient noirs. Le sol était noir. Seules les LED jaune et roses, alimentées par des cellules photovoltaïques et un générateur au moins aussi vieux que la ville elle-même, donnaient un semblant d’éclairage.

Cette nuit encore, le spectacle était au rendez-vous bien que les tribunes fussent presque désertes. L’avant-dernier combat opposait des barbares des routes de l’Est à des gardes de la cité en mal de sensations.

C’était en tout cas ce qu’annonçait le tableau d’affichage géant qui pendait dans le vide au-dessus de l’arène. Des messages publicitaires interrompaient parfois les déclarations importantes comme le nombre de survivants, le duel à venir ou enfin le récapitulatif des prix des boissons.

Les caractères jaunes sur fond noir prirent tout d’un coup la forme d’une jolie femme en tenue de militaire. Elle souriait puis clignait des yeux tandis que des caractères en cyrillique recouvraient le panneau avant de disparaître comme un nuage de poussière.

Apparemment, un certain type venait de tuer un autre type. Les quelques hooligans du premier rang hurlèrent. Une tête roula mollement dans le sable.

On était loin de la torpeur lyrique de l’Antre de Bacchus. Cette dernière avait fini par ennuyer le pilleur de tombe. Les paillettes et le vin aux épices étaient le monde de son frère. Le sien était ici, dans les ténèbres et la fureur.

Tout en haut, le bar offrait la meilleure vue. Mais il fallait consommer pour y rester. Il y faisait plus chaud, mais l’odeur de transpiration parvenait à masquer celle du sang qui imprégnait les murs.

La maigre foule cria de nouveau. Quelqu’un venait encore de mourir. Peut-être. Erol expira, tentant vainement de chasser les idées noires qui naissaient en lui, lorsqu’une serveuse se rapprocha de sa table.

Elle avait une minijupe noire suffisamment courte pour ne rien céder à l’imagination et risquer l’indécence. Son haut était en plastique transparent, laissant aussi apercevoir son soutien-gorge sombre et un magnifique tatouage de phénix sur l’épaule.

Elle lui demanda s’il désirait autre chose. Il voulut répondre, mais se contenta d’un sourire et d’un hochement de tête signifiant qu’il souhaitait simplement être seul. Elle s’éloigna avant de se perdre dans la pénombre.

Le niveau d’alcool de champignon n’avait pas diminué. Il avait payé ce verre pour l’emplacement. Pour avoir une chaise où s’asseoir et un peu d’espace pour réfléchir en haut des gradins.

Il n’était pas seul dans ce recoin. Deux hommes savouraient leurs bières, accoudés contre l’un des piliers du bunker.

« S’pas moi qui irait tenter ma peau là-dedans », lança l’un d’eux.

Celui qui avait parlé était petit et chauve avec un visage plat. Le second portait un uniforme de réserviste de la garde. Il répondit, mais sa voix se perdit dans la notification sonore d’une annonce publicitaire pour un implant.

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Au cours de sa vie, Erol avait été maintes fois confronté au danger. D’abord, récupérateur au sein d’un gang de rue des plus puissants, il avait parcouru les entrepôts délabrés de la Pêcherie, les stocks de la redoutable milice de Freia ou les souterrains tortueux sur lesquels la ville reposait.

Seul, il avait ramené quantités de trésors : ajouts cérébraux en état de marche, métaux rares, œuvres d’art parfois, armes souvent. Il était prêt à parier au premier venu qu’un tiers des implants de la foule devant lui étaient le fruit de son propre travail. Cela aurait été certainement le cas. Il y a longtemps.

Quand Marian l’eut finalement extirpé de l’enfer de la rue, ses talents avaient été mis à rude épreuve. Les hangars gardés et les catacombes nauséabondes avaient cédé leur place à des complexes souterrains inconnus ou des bunkers scientifiques oubliés. Mais là encore, il avait brillé de ses prouesses. Il était passé outre les frasques du vieil universitaire, car il payait bien.

En bas, dans l’arène, le combat se terminait. De nouveaux visiteurs affluaient tandis que d’autres quittaient les lieux, ivres. Le dernier événement de la soirée approchait à grands pas. Erol n’y prêta pas plus d’attention. Pourtant l’excitation de la foule qui croissait était palpable. Un flux d’air chaud lui monta au visage. Une nausée commença à l’envahir.

Tremblant, il passa sa main moite sur son front. Octave était désormais assis en face de lui. Le garçon avait les yeux rivés sur le tableau d’affichage. Deux ans auparavant, l’arrivée de l’adolescent avait changé la donne. Erol avait juré auprès de Marian que sa survie, et ses résultats étaient le fruit de son expérience solitaire. Le vieil universitaire lui avait, à tort ou à raison, matraqué que cela finirait par le rendre fou.

De toute façon, le mentorat d’Octave était un ordre de la Fondation et ce n’était pas négociable. Après tout, son père jouait à la table des grands.

Octave était encore jeune, mais il était prometteur. Erol avait eu du mal à le reconnaître. Leur aventure à travers le Dammastock avait enfin fait de lui son second, son acolyte. Après deux années de labeurs, le pilleur de tombe avait finalement accepté la présence de l’opiniâtre étudiant.

Tout lui avait été arraché si brutalement.

Le tableau d’affichage s’illumina et la foule hurla. Le combat était terminé. L’un des gardes jeta la tête du dernier slave dans les premiers rangs qui étaient hilares. Mais personne ne s’écarta.

Le fantôme d’Octave se tourna vers Erol. Octave n’était pas un grand adepte des affrontements violents du Gouffre. Ce n’est pas faute de l’y avoir emmené à maintes reprises. Il riait cette fois-ci. Il crut l’entendre, raisonnant à travers les places vides des tribunes, sous la voûte de pierre noire.

Cette dernière se transforma. Le complexe l’entourait de nouveau, le dévorait. Puis il fut à l’extérieur, dans un jardin. Il était de retour à l’Université. Octave gisait à terre. Un vent froid lui souffla au visage. Les ventilateurs crasseux du Gouffre s’étaient mis en marche afin de renouveler l’air en prévision du combat final.

Derrière lui, des tables raclèrent sur le sol en bois peint et un groupe de trois raiders prirent place non loin. Ils avaient des cheveux longs et sales.

Erol ne s’intéressa qu’à leurs tatouages. C’étaient des adeptes d’un gang que beaucoup considéraient proche du sectaire. C’était un bras armé de l’Armée Blanche dans la cité. D’après les bribes de conversation qui lui arrivait aux oreilles, l’ambiance dans la ville basse était électrique. Dans plusieurs quartiers, des émeutes avaient éclaté comme Freia le craignait.

Il les observa un instant sans croiser leur regard. Visiblement ils ne s’intéressaient pas au miteux dépressif affalé sur sa chaise dans un recoin sombre.

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Le fantôme d’Octave avait disparu. Erol aurait pourtant aimé l’entendre parler une dernière fois de ses notes sur le transfert de conscience dans un ordinateur ou d’autres inepties dont il avait le secret.

Quand Sileo sortit de nulle part, il sursauta.

« Navré de voir que mon établissement ne remplit pas tes attentes en termes de divertissement. »

Un juron plus tard, Erol dévisagea son frère avant de tendre la main en sa direction pour finalement palper l’épiderme rose de sa joue.

« Mais qu’est-ce que tu fais ? Es-tu déjà ivre ? s’enquit son ami en repoussant les doigts collants qui lui lacéraient le visage.

— Je vérifiais que tu n’étais pas un fantôme… pas une conscience dans le disque dur fracturé qui me sert de cerveau », lui répondit Erol en trempant ses lèvres dans la liqueur de cèpes.

« Poétique ce soir, ironisa son frère.

— C’est de la transcendance apparemment. C’était en vogue il y a dix siècles. Tu ne connais pas ? »

Il finit le verre d’un seul trait puis grimaça. La consistance de la liqueur était celle du miel quand il vieillissait trop longtemps. Elle devait dater d’avant sa naissance.

« Comment savais-tu que j’étais là ? demanda-t-il à son frère tout en faisant signe en direction d’une barmaid pour un second verre.

— Tu es là tous les mardis, répondit Sileo. Comment te sens-tu ? »

Erol haussa des épaules.

« J’en ai vu d’autres.

— C’est là le souci. Ce genre de problème, ça s’accumule. Et quand ça ressurgit, c’est souvent très laid. »

Erol hocha la tête. Il comprenait l’inquiétude de son frère. La mort d’Octave l’avait secoué. Il lui fallait juste un peu de temps avant de se remettre en selle.

« Suzanne est réveillée ?

— Elle se repose.

— Encore ? Comme s’il elle n’avait déjà pas eu sa dose ! plaisanta Erol.

— C’est avec ce comportement que tu as dû la faire fuir ! Une chance que les hommes de Freia lui aient mis la main dessus avant la pègre… ils sont de même plus faciles à acheter. »

Un speaker chauffait la salle. Le micro devait de nouveau fonctionner. Pendant ce temps, un petit homme chevauchant un âne nettoyait les projecteurs sur les abords de l’arène. Les fanatiques du premier rang se dirigeaient vers les toilettes.

Les baffles situés au-dessus de la tête d’Erol crachèrent un nuage de poussière quand celui-ci hurla le nom des prochains combattants. Sous la lumière des projecteurs usés par le temps, un groupe d’individus enchaînés faisait son entrée. Il y avait huit hommes et une femme.

Elle avait la peau blanche et les cheveux roux. Ses yeux verts en amande transpiraient la peur. Aveuglée, elle parcourait du regard la foule, puis ses bourreaux avant de prier la tête basse. Elle était belle.

« Comme tous les Brittons des colonies de l’Ouest », murmura Erol, les yeux rivés sur la scène.

Le groupe de prisonniers fut suivi par des Bouchers. C’était le nom qu’on donnait aux festifs tortionnaires des lieux. L’heure des combats était terminée. C’était désormais celui de l’exécution.

« Des infos sur Marian ? demanda Erol, le regard toujours fixé sur l’arène.

— Rien. Je commence à croire qu’il avait des contacts dans la nature chez qui il se cache pour un moment. Les Hautes-Terres sont plutôt vastes. L’Inquisition n’est pas près de le trouver et, malgré tout, les espions volants de Freia non plus »

Sileo remarqua l’intérêt de son frère pour le triste spectacle qui se déroulait devant leurs yeux. Les Bouchers entouraient désormais leurs victimes, faisant siffler leur fléau d’acier.

« Et le Juge ? reprit Erol.

— Retourné à Carascinthe. D’ailleurs tu veux une information à te hérisser les poils du… mince, Erol comment peux-tu venir ici participer à un tel étalage de violence ? fit remarquer Sileo alors que l’un des prisonniers, en tentant de s’échapper, fut frappé à l’arrière du crâne par ses geôliers.

— Je n’en sais rien. Tu disais ? » lui répondit nonchalamment Erol.

La jeune femme s’était écartée du groupe à reculons. L’un des bouchers fondit sur elle et la frappa avec son pied. Elle s’effondra sur le sol. Erol fit un geste vers son fourreau vide. Il avait laissé cette dernière au forgeron près de l’Antre. Néanmoins, ce geste n’échappa pas à son interlocuteur.

Sileo reprit après une moue :

« Sainte Maev, la supérieure en chef de l’Inquisition serait sortie de leur Arche. Freia a mis la Francie sous écoute et ça s’électrise. Tout porte à croire que le corps des Juges ne soit pas trop d’accord avec sa politique technologique.

— Si ces tarés se mangent entre eux, le monde ne sera que meilleur », commenta Erol en faisant signe à une nouvelle serveuse.

Une fille d’à peine seize ans arriva finalement avec deux verres relativement propres. Son index s’ouvrit en deux et d’un orifice coula du whisky.

La jeune femme possédait un second implant. Erol le vit apparaître furtivement à la lisière entre son sein gauche et son aisselle. C’était une petite valve argentée utilisée par les junkies pour ingurgiter du gaz ou de l’héroïne au plus près du cœur. Elle aussi était recouverte de tatouages fluorescents dont l’emblème du triangle cerclé.

« Hypocrites ! cracha Erol quand la serveuse fonça vers une autre table.

— L’opinion publique est désormais majoritairement de leur côté. Les beaux quartiers vivent dans une bulle. J’ai bien peur d’être là quand elle éclatera.

— Freia semble maîtriser la situation avec tous ses molosses à chaque coin de rue.

Sileo partagea son sarcasme.

— Regarde ces brutes, dit-il en désignant d’un hochement de tête le groupe des trois raiders. Ils se croient chez eux. À quelques dizaines de blocs du grand Dôme. L’incursion du Juge leur a donné du courage. Maev serait idiote de ne pas en profiter une fois le schisme maté. »

Les Bourreaux poursuivaient maintenant la poignée de prisonniers qui couraient dans l’arène. Les pieds entravés par leurs chaînes, ils trébuchèrent finalement avant d’être taillés en pièce sous les hurlements de la foule.

Au bout de quelques minutes, il ne resta plus que la jeune femme à la peau blanche. Ils commencèrent à lui enlever tout vêtement et tout honneur.

Erol leva les yeux au ciel, frappant sa tête contre le dossier de son siège. Sa main gantée tapotait le fourreau de son sabre. Il l’entendait implorer pour sa vie.

« Que comptes-tu faire ? Tu n’es pas le genre à te morfondre et à boire, lui demanda Sileo qui, lui aussi, ne resta pas de marbre face à la scène.

— J’ai ouï dire qu’au sud, Shandalaar était belle à cette période de l’année.

— Ring-City ? Les hologrammes de cerisiers en fleurs te changeront des cavernes, se moqua Sileo qui n’avait jamais partagé ce rêve.

— Tu ne m’empêcherais pas d’y aller ?

— Pourquoi donc ? Ce n’est pas comme si traverser la frontière n’était pas du suicide. Ils écorchent vif les clandestins qui essaient de passer. Tu le savais ça ? »

Erol le savait. Il l’avait vu de ses propres yeux.

« Mais après ça, les temples de Consommation, les palais de jade, les jolies filles à la peau brune… »

Sileo fixa lui aussi la pauvre prisonnière. Elle était désormais à genou, son doux visage rond en sang. Erol, lui, bouillonnait.

« Tu m’enverras une image de vœu.

— On appelait ça une carte postale, rétorqua le pilleur de tombe.

— Tu ergotes sur les mots.

— Octave faisait ça. »

Erol se tut. Le fantôme du garçon était réapparu. Il était cette fois-ci aux côtés de la jeune femme dans l’arène. Mutilé et humilié.

Un calme s’installa tandis que la salle entière retenait son souffle. Sileo rompit soudainement le silence :

« Erol. Tu ne provoques pas les catastrophes. Tu n’es responsable en rien de ce qui est arrivé à Octave. »

Erol leva les yeux au ciel. Il s’attendait au sermon de son frère et il s’étonna que celui-ci ne fût pas venu plus tôt. Il le laissa poursuivre.

« Mais tout cela c’est toi. Quand il survient un cataclysme, tu seras là, car tu es toujours là où l’action est. Tu n’y peux rien. Tu es maudit. »

Il sourit.

« Tu es maudit par ton bon fond. Tu ne peux t’empêcher d’intervenir et de te battre pour ce que tu trouves juste. Tu n’as pas extirpé cette femme de cette damnée montagne, car elle t’aurait rapporté un pactole. Tu l’as sauvé dans la mesure où c’était la seule chose à faire. »

Les Bourreaux levaient les bras au ciel, haranguaient la foule en faisant rouler leurs muscles couverts de sang et d’entrailles. La dame aux cheveux roux gisait sur le sol dans une mare de liquide sombre.

« Elle… en bas… tu ne peux pas la protéger », reprit Sileo en se hissant hors de table.

D’un geste de la paume, il désigna l’odieux spectacle qui se terminait.

« Arrête je vais pleurer », grommela Erol en finissant la bouteille.

La nausée l’envahit aussitôt qu’il posa cette dernière. Il se retint de vomir, mais un spasme lui retourna l’estomac.

Les projecteurs s’éteignirent en un claquement et l’arène sombra dans les ténèbres avant que les LED jaunes et vertes du plafond ne prennent le relais. Les hologrammes avaient disparu. La jeune femme et les Bourreaux s’étaient volatilisés. Octave était parti lui aussi.

Sileo se dirigea vers l’escalier qui devait lui permettre de quitter les gradins. Le speaker annonçait la fin des rediffusions du mois dernier. Le Gouffre se vida peu à peu dans un brouhaha.

Portant la main à son oreille témoignant d’une conversation par implant, Silo se retourna aussitôt vers Erol.

« La Fondation a trouvé une piste sur Marian. Je t’imprime le rapport et le dépose dans ta chambre. »

Lorsque son frère fut hors de portée, Erol poussa un grand soupir. Ses voisins directs le dévisagèrent. Les trois gorilles lui lancèrent des regards mauvais. La serveuse au phénix revint débarrasser sa table.

« De toute façon, je ne parle pas shandaloo », lui dit-il en payant l’addition avec son empreinte digitale.

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