《L'Empire de Cendres》CHAPITRE 9 : EROL

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Erol savourait la brise chaude qui lui caressait le visage. De la terrasse de la suite que lui avait réservée Sileo, il contemplait les toits de la cité.

Renaissance était plongée dans la torpeur des néons des faubourgs. Des soldats criaient au loin. Erol ne se rappelait pas en avoir déjà vu autant. Leurs voix se perdaient dans le dédale des rues.

Les beaux quartiers de Belleville étaient plus calmes. Sur le Grand Dôme flottait le drapeau de la Fondation, cet arbre fendu couleur argent sur un fond bleu sombre. Déchiré, défraîchi, il risquait de se décrocher à la moindre bourrasque.

Au-dessus brillaient les étoiles et les derniers satellites qui ne s’étaient pas déjà consumés dans l’atmosphère. Erol imagina un instant des hommes vivants encore dans quelconques stations orbitales perdues dans l’immensité galactique. Autrefois, il ne croyait pas à ces histoires. Mais c’était avant qu’une femme émerge devant ses yeux d’un sommeil millénaire. À partir de maintenant, tout était définitivement possible.

Et puis il pensa à Octave. Cet idiot d’Octave. Son cœur se serra.

Soudainement affaibli, Erol prit place dans l’un des deux fauteuils de la terrasse. Laissant son verre rouler sur le sol, il saisit la bouteille de vin non sans quelques tâtonnements gauches. Le liquide coula peu dans sa gorge et beaucoup sur sa chemise.

Son corps était douloureux. Le moindre de ses muscles souffrait le martyre. Ils refusèrent de bouger lorsqu’il leur demanda de le porter jusqu’au lit. Ce dernier semblait confortable avec son édredon de plumes d’oie et ses draps blancs en soie synthétique. Mais il était trop loin. À mi-chemin, la table basse était un obstacle insurmontable.

L’archéologue regarda l’heure sur un antique cadran numérique à énergie solaire. Sileo devait le rejoindre d’un instant à l’autre.

Juste en dessous avait été installée une baignoire en céramique comme on en faisait plus. Les serviteurs lui avaient chauffé de l’eau aux cuisines et montées, seau par seau, le précieux liquide filtré jusqu’ici en raison du rationnement. Mais elle aussi était trop loin. Il n’oserait jamais y mettre le pied cette nuit. Il savait que s’il avait l’occasion de plonger sous l’eau, il n’en sortirait jamais.

Après une nouvelle gorgée de vin, il sourit enfin. Lui-même ignorait pourquoi. Sa main glissa sur le sol laissant rouler la bouteille jusqu’au rebord de la terrasse. Erol s’était endormi, son chapeau lui tombant sur le bout du nez.

Il fut réveillé quelques minutes plus tard quand son frère entra en trombe dans la suite. L’archéologue sursauta. Un filet de bave poursuivait ses lèvres depuis le col de sa chemise.

« Bien ! Tu n’es pas déjà au lit. Excuse-moi du retard, dit Sileo qui ne semblait pas gêné par son irruption subite. As-tu au moins pris un bain ? »

Son frère le jugea de haut en bas et se pinça finalement les narines. Les manières hautaines de Sileo énervaient Erol au plus haut point. Celui-ci avait visiblement oublié d’où il venait. Il maugréa :

« Tu as l’odorat bien fin pour quelqu’un qui est né dans une décharge radioactive. »

Sa tentative pour se redresser se solda par un échec. Ses jambes refusèrent d’aller plus loin et il retomba lourdement dans son fauteuil. Sa nuque était douloureuse depuis le coup asséné par la jeune femme.

Sileo s’activait à ranger la chambre qui était pourtant toujours dans un état impeccable. Erol avait juste eu le temps de la traverser pour se rendre au balcon.

« Suzanne est en vie ?

— Et comment ! Comment peut-elle résister à ce point aux somnifères ? »

Erol haussa ses sourcils.

« Tu essaies vraiment de la droguer ? Il va falloir perdre cette habitude…

— J’ai tenté, mais rien ne fait effet ! »

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Sileo frappa du poing la commode.

« Mais de quoi est-elle faite ?

— C’est un peu brutal, non ? Qu’est-ce qui te préoccupe tant que ça ? » demanda Erol en voyant son frère faire pour la troisième fois la poussière sur les rebords d’une fenêtre.

L’air vicié de Renaissance laissait en permanence sa marque sur les meubles et les murs. Partout, une fine pellicule jaunâtre se déposait. Si des règles d’hygiène strictes n’étaient pas respectées, elles remplissaient les poumons jusqu’à provoquer l’asphyxie. La mort était lente après des années de complications respiratoires. Bien sûr, les populations les moins aisées étaient les plus sévèrement touchées.

« Écoute, je ne la connais pas cette fille, avoua Sileo. Et mon implant ne me trompe jamais ! Elle cache quelque chose à remuer les ondes comme ça ! Toutes mes barrières sont au rouge ! »

Il est vrai que Sileo possède un don pour flairer les ennuis, pensa Erol. Mais de là à droguer Suzanne…

« Je penche pour qu’on évite de droguer tes invités. Ne crois-tu pas ?

— Oui. Et puis maintenant, il est préférable de la laisser libre de ses mouvements dans l’enceinte de l’établissement. Elle ne pourra pas en sortir et me semble plus occupée à vider ma réserve de viande organique de cafard. »

Son frère voulut poursuivre, mais des pas résonnèrent dans les escaliers. Le sang d’Erol ne fit qu’un tour lorsqu’une femme d’âge mûr et à la peau brune passa le seuil de la porte. C’était Freia, la Fondatrice en charge des affaires extérieures et intérieures. Les renseignements et la police.

Sileo était en train de l’annoncer lorsque l’archéologue lâcha un juron sonore avant de se redresser violemment.

« Ma… Madame », bégaya Erol en inclinant délicatement la tête.

L’étiquette n’était pas son fort, mais Freia n’était pas du genre à s’en préoccuper outre mesure.

« Est-ce donc là votre frère, Sileo ? »

Elle possédait toujours cet accent de Shandaloo. C’était un curieux mélange entre la poésie de l’hindi et la sagacité du japonais. Sa voix était plus grave qu’il ne l’imaginait, mais Erol en comprit la raison.

Son interlocutrice sortit de son sac à main en métal une cigarette au papier rouge. Fumer était un luxe pour la plupart des habitants des Hautes-Terres. Mais au sud où poussait le tabac, c’était un art de vivre. Pour Erol, c’était de la pollution supplémentaire. Mais il aurait tué pour en avoir une ce soir.

Entre les volutes, la voix de Freia rompit de nouveau le silence qui s’était installé :

« Il ne vous ressemble guère. »

Même Sileo peinait à ouvrir la bouche en sa présence.

« Nous avons grandi tous les deux dans les ruelles nauséabondes de notre fière cité, Freia. Ce qui fait de nous bien plus que des frères malgré l’absence de lien de parenté. »

Erol et Sileo ne faisaient jamais part de leurs origines modestes. C’était un pan de leur vie qui resterait à jamais gravée dans leur chair, mais qu’ils préféraient tous deux oublier. Leur amitié était le seul vestige qu’ils souhaitaient garder en mémoire. Ils avaient décidé il y a des années que cela était mieux ainsi.

Le tenancier de l’Antre de Bacchus invita Freia à prendre place dans le deuxième fauteuil en face d’Erol. Puis, il alla chercher une nouvelle bouteille de vin près du lit. Il revint avec et un plateau de champignons secs, la spécialité locale. Erol connaissait ces champignons et jugea préférable de les refuser.

« L’inquisition vous a mené la vie dure à l’Université », reprit Freia qui visiblement n’était pas venu perdre son temps autour d’un apéritif.

Ce n’était pas une question pourtant Erol acquiescé.

Sileo servit trois verres de part égale de vin pétillant puis les distribua à ses deux convives. L’archéologue refusa de nouveau malgré le fait que sa gorge n’ait jamais été aussi sèche. Il toussa.

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Peu après, Freia lui adressa un sourire tendre avant de poursuivre :

« J’ai eu vent de ce qui est arrivé au fils de Greymar. Octave c’est bien ça ? »

Ses yeux en amandes se plissèrent ce qui lui donna un certain charme.

« Une tragédie, oui », commenta Erol.

Il prit finalement son verre et le vida à moitié. Il grimaça lorsque Freia le fixa droit dans les yeux.

« Greymar est à deux doigts de brûler la cité flottante de Carascinthe. J’ai passé le dîner à l’en dissuader, continua-t-elle de nouveau impassible.

— Le repaire de l’Inquisition ? couina Sileo.

— Le père d’Octave est en ville ? » s’enquit Erol avant de froncer des sourcils.

Son cœur se serra. Greymar et ses fils allaient lui scier le visage et il devrait s’en réjouir, car ce serait le plus doux des châtiments que ces guerriers des steppes du nord pouvaient lui infliger. Erol s’était toujours demandé comment il avait pu engendrer un maigrichon d’intellectuel comme Octave.

« Pourquoi l’empêcher de mettre le feu à cette fourmilière ?

— Car la Fondation n’a pas les ressources pour mener cette campagne vengeresse, le corrigea Freia. L’Arche mouille au large de la Francie, ce serait un casse-tête diplomatique dont nous n’avons pas besoin après cette énième révolte des Barons. »

La veine sur sa tempe tambourinait à travers sa peau brune. Freia était en première ligne de cette agitation aux frontières.

« Il devra faire son deuil avec toute la retenue que la situation lui impose. Aussi difficile soit-il. »

Erol déglutit et Freia le rassura aussitôt :

« Il ne te tient pas rigueur. Rien n’aurait pu prédire l’audace de ces fous furieux. »

Puis elle se tourna vers le tenancier qui d’inquiétude, tapotait de ses doigts boudinés le dossier du fauteuil où s’était effondré Erol après cette nouvelle réconfortante.

« Je suis vraiment navrée de m’introduire chez toi à une heure si tardive, Sileo. Mais, comme nous en avons brièvement échangé, j’aimerais poser quelques questions à Erol.

— Je suis à votre disposition », répondit l’archéologue en se redressant.

Sa voix était ferme pour la première fois de la soirée.

« Nous savons que l’Inquisition ne recule devant rien pour assouvir chaque jour un plus son emprise sur les Hautes-Terres. Toutefois, un bon nombre de Fondateurs est convaincu que ce qui s’est passé à l’Université n’est pas le fruit du hasard. »

« Que voulez-vous dire ? demanda Sileo alors qu’Erol restait réservé.

— De ce que j’ai compris, le Juge-Exécuteur cherchait Maître Marian. Contrairement à ce que j’ai pu entendre sur les serviteurs de la Sainte Maev, celui-ci désirait Marian vivant.

— Impossible. Les Juges ne capturent jamais ceux qu’ils considèrent comme hérétiques. Ils les exécutent sur place ! intervint Sileo.

— Et encore plus curieux, les terminaux de l’Université ont été hackés. À plusieurs reprises, enchaîna Freia.

— Savez-vous par qui ? » demanda Erol bien qu’il connût le responsable d’au moins l’un de ces piratages.

La peur d’exposer davantage son expédition sous le Dammastock le tétanisa.

« L’Inquisition pour sûr, trancha la Fondatrice. Les dernières tentatives appartiennent à une nonne aux ajouts plus que sophistiqués. Et ça, c’est une première !

— L’inquisition possède un double visage, avoua Erol. Je ne sais pas pour les Juges-Exécuteurs, mais ce sont les directives de la Sainte Maev. »

L’archéologue leur compta alors le témoignage du Père Flumine et répéta ce que la bibliothécaire lui avait expliqué dans la salle de lecture.

« Pensez-vous que cela soit possible ? » demanda Silo à Freia.

Cette dernière était restée silencieuse pendant tout le récit. Elle reprit après avoir terminé sa cigarette et en allumé une deuxième

« Peut-être. Oui. Certes, répondit-elle. Je vais en avertir les Fondateurs. Bien entendu, il serait bien sûr préférable que vous gardiez ça pour vous. »

Elle tremblait comme si toutes ses craintes venaient de se confirmer.

Elle savait, pensa l’archéologue. Ces intrigants de Fondateurs sont au courant depuis longtemps. Rendre cette nouvelle publique lèverait un vent de panique. Combien d’entre eux profitent de ce conflit avec l’Inquisition ? Il n’y a rien de plus lucratif que la guerre. Sauf quand on la perd.

« Erol, reprit-elle. Que faisiez-vous à l’Université ? Tout porte à croire que le Juge et sa nonne vous attendaient. Plutôt curieux alors qu’ils pouvaient poursuivre Marian, leur objectif premier. »

La dame de glace appréciait sa seconde cigarette. Une petite émanation rose s’en échappa.

L’homme au chapeau se frotta les yeux du bout des doigts. Il avait du mal à formuler ses pensées. Sa réponse vint quand celle-ci expira un doux nuage couleur lilas aux senteurs de jasmin :

« Je revenais du sud. Une expédition… »

Un instant Erol considéra mentionner la jeune femme dans le cercueil de verre. Mais il préféra renoncer pour le moment. Il avait déjà lui-même beaucoup de tort à y croire.

Freia ne le laissa cependant pas en reste. La nouvelle question de son interlocutrice fusa. Elle provenait de derrière un écran de fumée.

« Est-ce cela qui les intéressait ? Que rameniez-vous qui aurait pu concerner Marian ? Des implants excitants ? Des armes ? »

Un voile rosâtre dissimulait de plus en plus ses deux interlocuteurs et commençait à lui faire tourner la tête. Il aurait mis sa main à couper que Freia était en train d’utiliser une quelconque drogue sur lui.

« Et par extension l’Inquisition… » rajouta Sileo.

Erol nia en bloc toute découverte d’importance. Il mit en avant que ces expéditions étaient monnaie courante et qu’il avait rapporté des implants usagés et des données presque illisibles.

Il jura ensuite que dans ces récentes découvertes ramenées à l’Université, rien n’aurait pu intéresser l’Inquisition au point qu’un Juge-Exécuteur fasse le déplacement avec des Paladins.

Mais Freia n’était définitivement pas dupe et appuya sur la corde sensible qu’elle préparait depuis le moment où elle avait commencé son interrogatoire :

« Alors… Octave est donc mort pour des informations inutiles et une caisse d’ajouts usagés ? Disparu pour rien ? »

Erol ravala sa rancœur naissante et fit mine de ne pas prêter plus attention à la remarque de son interlocutrice. Lorsque cette dernière décida de lâcher l’affaire, il mena cette fois-ci la charge après avoir dissipé les ultimes volutes de fumée qui l’entouraient :

« Savez-vous où est Maître Marian ? »

Freia parut étonnée du regain de fierté de l’archéologue. Sileo attendait lui aussi la réponse et toisa leur interlocutrice du regard. Il avait désormais pris place sur la table basse, aux côtés son frère.

« J’ai un oiseau sur ses talons, confia-t-elle en haussant ses épaules. J’en saurai plus demain. Peut-être. Vous souhaitez toujours vous référer à lui ? Pourquoi ? »

Freia ne le laisserait donc pas mener la conversation. Son regard était plus sévère que tout à l’heure. Elle se leva de son fauteuil pour prendre appui sur le muret de la terrasse.

À ce moment, l’un des laquais de Sileo entra dans la pièce et chuchota à son maître. Ce dernier le renvoya et annonça à Erol que Suzanne avait été reconduite à ses appartements comme convenu.

Erol sentait la fatigue le ronger. Sa respiration était saccadée. L’âcre fumée n’avait pas arrangé son état. Après réflexion, il préférait les particules jaunes au poison de la dame de glace.

« La Fondation se meurt, Erol. »

Elle écrasa le mégot de sa cigarette dans le creux de sa main avant de le déposer sur la table.

« La Fondation possède ses défauts et ses propres démons. Mais l’Inquisition ? Allons, Erol… L’obscurantisme. La peur. La ruine. Ce dogme tambourine aux portes de la cité jour après jour. L’Inquisition est un idéal en contradiction totale avec les valeurs du monde que nous essayons de reconstruire. La Sainte Maev et ses Juges-Exécuteurs…

— La Sainte Maev n’est pas l’Inquisition, l’interrompit l’archéologue après avoir pris place à ses côtés. C’est un mal encore plus immense, mais qui ne fait pas l’unanimité au sein de ses rangs. »

Il pensa à ces sections qui menaient leurs fouilles dans le plus grand secret de la confrérie. Le Juge Exécuteur lui-même avait annoncé son désaccord avec l’opération de l’Université.

« La technologie ne lui fait plus peur. Comme nous, elle l’utilise. Elle connaît les pouvoirs qui dorment dans les profondeurs. Et vous le saviez. »

Freia resta de marbre.

« Oui, avoua-t-elle.

— Les offensives se multiplient, n’est-ce pas ? Je n’ai jamais vu autant de soldats dans les rues. Le danger croit désormais aussi de l’intérieur.

— L’Inquisition conquiert de plus en plus de fidèles en effet, confessa Freia.

— À qui la faute ? ironisa Erol beaucoup plus menaçant. Pourquoi ne les attaquez-vous donc pas avant qu’ils ne gagnent en puissance ? »

Freia ne répondit pas tout de suite.

Tous corrompus. Cet état de guerre froide les enrichit ainsi autant ? Mais elle se rend compte qu’ils jouent avec le feu avec des fanatiques. Elle sait qu’il sera bientôt trop tard. Elle est donc bien aux abois. Prête à tout.

« Qui est cette femme ? » trancha-t-elle enfin.

Elle ne masquait plus son accent de Shandaloo. Il avait donc fini par la rendre furieuse.

« Le souci de Maître Marian. Le seul Fondateur en qui j’ai confiance et le seul avec qui je dialoguerai, répliqua l’archéologue au tac au tac.

— Très bien. Il n’y a plus qu’à espérer que le Juge-Exécuteur et sa none ne lui tombe pas dessus avant nous », conclut Freia en parlant de Marian.

La Fondatrice se leva et fit un bref signe de tête à chacun d’eux. Puis, elle quitta aussitôt la pièce.

Erol fut surpris. La victoire avait été plus facile que prévu. Bien trop facile.

« C’est vraiment encore une sale journée ! grogna-t-il quand Freia eut enfin disparu de son champ de vision.

— Ce que tu peux être borné, c’est incroyable ! À ne rien vouloir lui dire. Je ne l’ai jamais vu contenir à ce point sa fureur ! commenta Sileo qui vida sa deuxième bouteille depuis son arrivée. Marian t’a toujours protégé, mais si jamais il ne revient pas…

— Je ne dois rien à cette fasciste, l’interrompit Erol avant que son frère n’intervienne pour le calmer.

— Je crois que nous avons tous compris le fond de la pensée. Mais les Fondateurs ne portent pas tous la même vision que Freia. »

Erol savait ce que son proche essayait de lui expliquer. Il côtoyait les hautes sphères.

« Tu es au fait que tu peux me faire confiance ? demanda Sileo avant qu’Erol ne le prenne dans ses bras.

— Bien sûr, sombre idiot. »

Sauf quand tu drogues tes invités.

« Où as-tu déniché cette perle aux yeux azur ? C’est donc ce que les informations que tu as piraté dans les fichiers de Marian t’ont amené à découvrir ?

— Les documents parlaient d’un complexe sous le Dammastock. Nous sommes tombés sur elle là-bas, au sein d’une espèce de sarcophage de verre. Elle était dedans depuis mille ans, confia Erol.

— Oh ? »

Sileo cligna des yeux. Il ne s’attendait pas à cette réponse.

Qui aurait pu…

« Plutôt bien moulée pour une momie, plaisanta-t-il tout en regardant son reflet sur la bouteille de vin.

— Le Juge avait une nonne avec elle. J’ai peur qu’elle ait percé Suzanne au grand jour…

— Celle avec les implants aux yeux ?

— Encore un mystère. Concernant la fille, je pensais que Marian…

— Freia le retrouvera. J’en suis sûr ! Rien ne peut échapper à ses drones. Ils sont partout de nos jours, reprit Sileo. Que proposes-tu que nous fassions en attendant ?

— Ma mission devait s’arrêter à l’Université. Au lieu de rapporter des babioles, je ramenai la fille. J’avais ma prime et tout allait bien dans le meilleur des mondes. »

Erol frappa du poing sur la table, écrasant les mégots fumants laissés par Freia.

« Ensuite, Marian pouvait en faire ce qu’il voulait : la disséquer ou l’exposer dans son musée… »

Erol marqua une pause, regrettant ses paroles.

« Mais ? »

Sileo le lui avait ôté de sa bouche. Mais ce n’était pas l’heure d’exprimer ses sentiments.

« Je sais que Marian est aussi distant que toi et moi de ces manipulateurs que sont les Fondateurs. Lui absent, je ne pourrai la laisser à la merci de Freia, dit-il finalement. Elle la torturerait pour obtenir la position de caches d’armes, de bases militaires ultrasecrètes ou je ne sais quoi de complètement stupide ! Comme si Suzanne…

Si son identité s’ébruite, l’Inquisition comme la Fondation fonderont sur elle.

— Je comprends. Le temps que le cas de Marian soit statué, elle peut rester confinée ici. Comme tu l’as déjà vu, elle ne manquera de rien. Et promis je ne tenterai plus de la droguer ! »

Dans son fauteuil, Sileo bâilla en contemplant l’horizon. Tout autour, il neigeait ces flocons jaune pâle.

« Je n’imagine pas ce qu’il doit se passer dans son esprit. Tu le conçois, toi ? Perdue au milieu de barbares tels que nous. »

Erol fit non de la tête. Il imaginait la cendre comme les vestiges des hommes et des femmes de l’ancien temps. Octave les avait rejoints désormais.

« Elle pourrait nous apprendre tellement de choses intéressantes... »

Mais avant que Sileo puisse poursuivre, l’un des serviteurs en charge de Suzanne s’appuyait contre le cadre de la porte. Une goutte de sueur perlait au bout de son nez. Il resta un moment la bouche ouverte sans qu’aucun son en sorte.

« Parlez, Adrian ! Avez-vous perdu votre latin ? s’inquiéta le tenancier.

— La dame est partie ! » pleurnicha-t-il dans un patois suisse allemand.

Erol échangea un regard rapide avec son frère. En saisissant sa ceinture et le fourreau de son épée, il prit la direction de la sortie laissant Sileo seul avec son serviteur. Jamais il n’avait couru aussi vite.

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