《L'Empire de Cendres》CHAPITRE 8 : SUZANNE

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Cela faisait maintenant une heure qu’elle attendait Tom et ils étaient désormais trop en retard pour se rendre à la réunion annuelle du club de jeux de rôles. Dehors, la tempête de neige qui immobilisait Boston et sa banlieue reprenait de plus belle.

Déçue, Suzanne s’installa nonchalamment sur son canapé, repoussant du pied sa tablette et sa boite de nourriture chinoise de la veille. Lee, le chat de sa colocataire, se glissa de dessous le pull de sport où il avait élu domicile pour l’après-midi et vint ronronner sur son ventre.

La télé n’offrait rien d’intéressant. Les programmes classiques de la période de Noël inondaient ses suggestions Netflix. Certains avaient déjà plus d’une centaine d’années. Cela la rendait triste. Tous ces gens à l’écran devaient être morts et enterrés. Certainement leurs enfants aussi.

Après toutes ces années, ils ne restent donc d’eux que ces programmes ridicules, pensa Suzanne soulevant délicatement le félin.

La chaîne du campus présentait le talk-show habituel de la fin d’après-midi où le président du club audiovisuel, un grand idiot à la coupe ringarde, léchait les bottes d’un chercheur ou d’un professeur renommé.

Suzanne s’était relevée pour ranger ses cours de la semaine. Fâché du manque d’attention, le chat s’éclipsa de son champ de vision non sans piétiner avec malice la télécommande tactile.

« Ce rêve de transcendance est absurde ! Aucun humain n’en aura jamais la capacité et cela, quelle que soit la technologie à notre disposition, cracha le poste de télévision maintenant que le volume avait doublé.

— Et pourquoi donc ? enchaîna le présentateur.

— Nous pouvons retranscrire des informations jusqu’à une certaine limite. Le cerveau du sapiens est beaucoup trop complexe pour être intégralement transféré ! Et puis comme la téléportation, vous n’obtiendrez qu’une copie de la personne d’origine. Voir uniquement quelques fragments recomposés !

— Vous voulez-dire comme ce vieux film ? Comment s’appelle-t-il déjà ? La mouche ? »

Suzanne imagina sa conscience mélangée à celle d’un moucheron et un frisson lui parcourut l’échine.

À l’écran, le scientifique acquiesça le plus sérieusement du monde.

« Votre remarque est pertinente, poursuivit le chercheur. Lors des premiers essais menés à Lhassa, les Chinois fusionnaient en partie le sujet avec une IA pour le stabiliser. Là, ils ont obtenu des monstres…

— Pauvres sujets de laboratoire. On se demande où la Chine en trouve autant ! » plaisanta amèrement l’étudiant.

Suzanne sursauta quand on toqua à la fenêtre. Derrière la buée se tenait le visage de Tom.

Enfin !

Elle s’enveloppa aussitôt dans une couverture, mais lorsqu’elle s’approcha pour lui ouvrir, il avait disparu.

« Très marrant, Thomas ! » cria-t-elle avant que le froid ne la fasse tressaillir.

Suzanne rattrapa alors le volet que le vent matraquait contre le mur en brique. Dehors le ciel était étrangement bleu-turquoise malgré l’heure avancée. Il en était presque aveuglant. Baissant les yeux, elle aperçut le message dessiné dans la neige. C’était l’écriture de Tom et il appelait à l’aide.

Maintenant enveloppée dans la cape d’un garde de la cité, Suzanne grelottait. Elle ne savait pas si l’homme était un ami ou un ennemi, car jusqu’à présent il était resté silencieux. Elle ignorait où était Erol et où ils se dirigeaient aussi vite sur ce qu’elle supposa être un cheval.

Le petit Octave était mort. Là était son unique certitude. Elle se souvenait de sa dernière conversation avec lui.

« Méfie-toi d’Erol », lui avait-il dit avant de gravir doucement les marches.

Si seulement le problème n’avait été que l’archéologue. Elle repensa alors à ces fous qui leur avaient tendu un piège à l’Université. Cette Inquisition qui arborait un symbole qu’elle avait déjà vu dans le passé.

Et cette jeune femme aux yeux de miroirs qui avait lu en elle. Elle la revoyait fouillant dans sa mémoire jusqu’aux souvenirs les plus intimes. Elle lui rappela ces pirates capables de sonder les implants neuronaux ou les consciences artificielles des cyborgs.

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Dans un cri sourd, la curieuse monture stoppa soudainement sa course pour la première fois depuis qu’ils avaient quitté les jardins.

Lorsqu’on lui retira la capuche qui lui protégeait la tête, Suzanne fut éblouie. Il fallut quelques secondes pour se réhabituer à la lumière. Celle-ci émanait d’une large enseigne de néons couleur rouge. Différentes lueurs voletaient autour d’elle comme des gyrophares. La nuit était tombée.

Un homme au casque d’or la prit dans ses bras. Elle entendit au loin la voix d’Erol et d’autres caquètements provenant de gigantesques oiseaux qui semblaient battre des ailes. On ordonna de fermer un portail et il y eut un grand claquement de fer contre de la pierre.

L’homme qui la portait gravit des escaliers interminables et la déposa ensuite sur une surface plane et douce. On l’avait installé dans un lit.

Elle sentit peu après la présence d’Erol. Lorsqu’il apparut à sa portée, il était flou. Ses paroles étaient inaudibles. Elle crut entendre que tout allait bien se passer, que tout était fini. Enfin elle s’endormit.

Suzanne se réveilla quelques heures plus tard dans ce qui aurait pu être une chambre d’hôtel au style méditerranéen. Un timide soleil du crépuscule illuminait la pièce depuis le balcon. Elle avait visiblement somnolé une journée entière dans un grand lit à baldaquin. Son corps nu était enveloppé dans un drap blanc très confortable.

Son regard sonda les alentours. Il y avait un bureau en bois avec un fauteuil en cuir et plusieurs étagères recouvertes de livres. Un rideau dissimulait une salle d’eau éclairée par un néon violet.

« Ce n’est pas si mal pour une femme vieille de mille ans », se dit-elle en s’examinant dans un miroir.

Une voix derrière elle la fit sursauter quand le tube fluorescent grésilla.

« Suzanne ? »

Tom était de nouveau là, mais en chair et en os. Machinalement, elle se retourna. Mais celui-ci n’y était plus. Pourtant elle entendait toujours sa voix.

« Je me suis perdu Suzanne. »

La peur grimpa le long de son échine et enveloppa son cœur.

« Où es-tu ?

— À l’endroit que tu m’as laissé, il y a mille ans. »

Il marqua une pause.

« Tu dois m’aider.

— Comment ? cria-t-elle en cherchant son ancien partenaire à travers la pièce, bousculant les affaires de toilettes et les serviettes qu’on lui avait préparées.

— Mince ! Où es-tu bon sang ? »

Tom ne répondit pas. Mais il était en vie. Erol et Octave avaient raison. Suzanne en avait maintenant la certitude. S’il était quelque part, elle pouvait le retrouver.

Sa tête tourna. Prise de vertiges, elle s’appuya contre le rebord de la baignoire.

Je deviens folle… pensa-t-elle. Rien de tout cela n’est réel. Tom… Ce futur… Ces psychopathes et ces…

Suzanne inspira un grand coup, mais ne put retenir quelques sanglots. Séchant ses larmes, elle se fit couler un bain. L’eau était tiède et brune, comme un thé trop dilué.

« Tu parles d’un avenir… »

Plonger la tête sous l’eau la revigora comme si elle naissait de nouveau. Après s’être séchée, elle enfila les vêtements que l’on avait disposés pour elle sur un coffre en bois, au pied du lit : une simple tunique mate et un pantalon synthétique. Les bottes étaient malheureusement trop petites et lui broyaient les orteils. Tant pis, elle explorerait les lieux pieds nus.

Suzanne dévala les escaliers de fer forgé et parvint à un long couloir peint en rouge. Elle le suivit sans croiser personne jusqu’à accéder à un balcon circulaire qui surplombait une cour intérieure.

Au centre d’une fontaine de pierre taillée et finement décorée jaillissait un jet d’eau à l’odeur de lavande. Tout autour étaient disposés des bancs de granit abrités par des oliviers aux feuilles roses eux aussi. Juste en dessous, plusieurs femmes, joliment vêtues de tenues de soie presque transparente discutaient près d’un guéridon. Un homme, portant un simple tabard de peau, leur apportait des boissons dans des verres à cocktails raffinés.

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La jeune femme descendit les marches pour les rejoindre. Elle espérait qu’ils pourraient la guider vers Erol, mais celui-ci fit soudainement irruption de l’une des pièces aux pieds de l’escalier. À en juger par les émanations qui en échappait, celle-ci devait être la cuisine. Il était accompagné d’une jolie femme blonde.

« Suzanne ? Vous voilà enfin réveillée ! s’exclama-t-il, visiblement surpris de la trouver devant lui. Comment vous sentez-vous ? »

L’hésitation avait dû se lire dans son regard, car Erol eut un sourire gêné. Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle devait ressentir. Elle pencha pour la gratitude.

« Je vais bien. Merci de m’avoir extirpé de… de cette mauvaise situation. »

Erol congédia la jeune femme aux cheveux d’or, presque blanc. Se tournant de nouveau vers Suzanne, il ôta ses lunettes. C’était la première fois qu’elle le voyait sans. Il avait les yeux d’un vert très clair. Ils étaient rougis. La mort d’Octave avait dû l’atteindre profondément.

Mais elle ne se laissa pas attendrir pour autant. Les paroles d’Octave à son propos résonnaient dans sa tête. Il fallait se méfier d’Erol.

« Il n’en est rien. Nous devons tous les deux notre salut à notre chère force de sécurité. »

Il avait haussé le ton pour accompagner un sarcasme à peine dissimulé. Erol avait apparemment une dent contre la police de la ville.

« C’est eux qui nous ont amenés ici à dos d’autruches. »

Les demoiselles et le serveur quittaient l’atrium. Suzanne les vit partir en direction d’un grand portail en bois. Lorsqu’elle s’entrouvrit, elle crut entendre de la musique et des clameurs.

« Des autruches ? demanda la jeune femme en regardant toujours la porte. Où sommes-nous exactement ? Tu connais les lieux ?

— Vaguement, lâcha Erol à demi-mot.

— Vaguement ? » couina une voix au-dessus d’eux.

Appuyé contre la balustrade du balcon qu’elle avait quitté quelques instants plus tôt, un curieux personnage les fixait de haut en bas d’un air dédaigneux. Il était légèrement maquillé et possédait des cheveux à l’extravagante couleur pourpre plaqués sur son crâne.

Son regard perçant oscilla entre Suzanne et Erol. Sa moue boudeuse se transforma alors en un sourire jusqu’aux oreilles qui arborait des boucles d’oreilles de la taille d’une pièce de monnaie.

« Ah ! ! Mon pilleur de tombe favori ! s’écria le débonnaire en levant les bras, arrosant au passage un olivier du liquide qui se renversa de sa coupe en or.

— Où sommes-nous donc ? demanda Suzanne entre ses dents. Et qui est cet individu ?

— L’antre de Bacchus. Un cabaret. Et voici Sileo », avoua Erol.

Sa gêne était à peine dissimulée, mais reprit finalement :

« Sileo est… mon frère. »

Ce curieux personnage était donc leur hôte. Suzanne jugea que le plus étonnant restait le fait que ce soit le frère du brumeux Erol Feuerhammer.

Lorsqu’il arriva enfin à leur hauteur, Sileo, visiblement très essoufflé, serra Erol dans ses bras puis se tourna théâtralement vers Suzanne.

« Ce maroufle vous importune-t-il ? Il n’a jamais été à l’aise avec les femmes. »

Suzanne ne put que balbutier.

« Monsieur préfère passer son temps dans les grottes à gratter de la poussière.

— L’heure n’est pas à l’humour, Sileo. J’en ai bien peur », intervint Erol visiblement las des plaisanteries de son frère.

Le sourire du tenancier se crispa puis s’effaça.

« Oui. Oui bien sûr. Je viens tout juste de rentrer d’urgence de ma retraite provinciale. C’est affreux. Maître Marian… l’Université…

— Octave. »

Sileo resta bouche bée

« Octave est mort ? »

Suzanne acquiesça et elle le vit se décomposer. Se frottant l’arrière du crâne, il les invita à le suivre.

« C’était un brave garçon. Celui qui a fait ça s’en est sorti ? »

Le ton de Sileo avait changé. Le tenancier frivole avait disparu derrière un masque dur et froid. Octave lui avait dit de se méfier d’Erol. Elle ignorait si son frère était aussi digne de confiance.

« Son bourreau était un Juge-Exécuteur, répondit Erol

— Fichtre ! Ces oiseaux de mauvais augure ? Ici à Renaissance ? L’étau se resserre sur la Fondation. C’est fâcheux. Extrêmement fâcheux ! »

Suzanne suivit avec Erol le tenancier qui remontait les marches jusqu’au balcon. Puis, ils s’aventurèrent en sens inverse dans le corridor que Suzanne avait emprunté pour se rendre à l’atrium. Enfin, ils s’arrêtèrent près d’une porte dérobée que la jeune femme n’avait pas remarquée lors de son premier passage.

« Nous allons aller par-là », leur expliqua Sileo avant de les conduire dans un étroit couloir illuminé de bougies artificielles.

Le tenancier les invita ensuite à entrer dans un discret salon contenant canapés, fauteuils et tables. Le cabinet surplombait une salle plus grande, plongée dans une lumière rose tamisée. Il alluma par la suite plusieurs chandeliers électriques tout en incitant ses convives à s’installer.

Suzanne s’assit confortablement dans un fauteuil. Quelques secondes plus tard, Sileo lui tendit un gobelet de liquide abricot fluorescent. Il venait de le tirer d’une barrique dissimulée dans le mur. Erol eut le droit au même service avant que Sileo ne prenne finalement la parole :

« C’est un mélange spécial provenant de Francie. Il est comme les habitants de ce fichu pays : acide et assommant », lança-t-il avant de vider son verre.

Erol, lui se contenta de boire un unique trait. Mais son visage était désormais rouge écarlate. Prudente, Suzanne ne tenta après tout qu’une petite rasade.

Un picotement lui parcourut la langue et la gorge, là où le breuvage avait tracé son chemin. La sensation était étrange, comme si une armée de fourmi s’était mise à danser dans sa bouche. Le goût, lui, était définitivement un mélange d’agrumes et d’antigel. C’était terriblement chimique.

« Ton amie est moins sensible que toi du palais. Voilà que tu ramènes enfin une femme de qualité, plaisanta Sileo.

— J’aimerais qu’on discute de la marche à suivre, Sileo. lui répondit Erol en tapotant nerveusement son verre.

— Tu… vous êtes tous les deux en sécurité ici. Nous parlerons après ta douche bien chaude, car tu pues le bouc mon frère. Tu vas faire fuir ma clientèle. »

Sileo adressa un sourire à Suzanne. Elle voulut le lui rendre, mais son visage lui parut figé, lourd. Elle se passa les pouces sur les yeux. La lumière l’aveuglait.

Suzanne déglutit. Elle se sentait brûler de l’intérieur. Un étrange serpent de feu lui saisissait les tripes pendant que ses sentiments se mélangeaient. La peur laissa place à la colère puis à la joie. L’air était à la fois chaud et frais, à chaque inspiration il avait un parfum différent. Son cœur, lui, battait la chamade.

Elle se revoyait enfant, parcourant une forêt aujourd’hui disparue, une glace entre les doigts. Derrière elle, ses grands-parents marchaient en lui faisant de grands signes de la main. Au loin, les aboiements de son labrador résonnaient entre les troncs.

Puis, elle se retrouva dans un bureau froid, au sommet d’une tour surplombant un parc sans arbres. Face à elle, un homme en costume gris parlait sans qu’elle comprenne.

« La Novan-Kamiru possède un laboratoire en orbite, certes. Mais il n’est toujours pas opérationnel. Ils auraient rencontré des non-conformités sur plusieurs panneaux photovoltaïques. À notre grand regret… »

La voix venait d’un autre individu, aussi en complet gris, qui se tenait contre le rebord d’une fenêtre trop petite pour réellement faire passer la caresse du soleil. Ils avaient la même coiffure, les mêmes lunettes et le même timbre monotone de technocrate. On aurait dit des clones, parfaitement formatés par la corporation.

« Il va falloir vous contenter des bucoliques montagnes suisses pour le moment, Madame Courtois, reprit l’homme à la fenêtre en tirant sur sa cigarette électronique. Nous pourrons examiner votre demande de mutation à votre prochain entretien annuel de qualification. »

Elle se rappela les avoir traités de tous les noms, dans toutes les langues, et claqué la porte derrière elle. Elle avait décidé d’accepter la proposition de Thomas. De toute façon, elle était toujours coincée en Suisse.

Ce n’était pas un joyeux souvenir. Pourtant elle en avait beaucoup. Nombreux furent ceux qui résonnèrent dans sa tête.

« Bon anniversaire ! »

C’étaient des voix lointaines. Sa famille. On lui avait offert un télescope pour ses douze ans. Son père et sa mère s’approchèrent pour lui déposer une tarte aux fraises constellée de bougies.

Les visages de Sileo et d’Erol apparurent par-delà les flammes multicolores. Leurs traits étaient tordus et leur timbre déformé par les crépitements des chandelles festives. C’était comme s’ils étaient derrière une vitre opaque.

« Ma chère, vous allez bien ? » demanda Sileo.

Suzanne se confondit en excuses avant qu’Erol ne lui pose une main sur l’épaule.

« Avec tout ça, elle n’a rien mangé de solide depuis… et bien depuis bien trop longtemps ! dit-il.

— Mais oui c’est vrai ! Grand pardon ! » s’exclama Sileo.

Ils étaient dans le juste. Elle mourrait de faim.

Le tenancier porta sa main à la tempe et aussitôt des laquais apportèrent un plateau de nourriture.

Un implant neuronal, pensa Suzanne alors que son ventre gargouilla. Il en existe donc encore ! Le net est-il toujours actif ? Ainsi Tom pouvait par conséquent bien communiquer avec elle ! S’il était en vie…

Le plat qui apparut sur la table basse contenait des fruits aux couleurs étranges recouverts individuellement d’un film plastique très épais. Il y avait aussi de la viande séchée finement taillée.

Le cyberespace attendra, pensa-t-elle en sentant son estomac se tordre.

« Prenez le temps de vous repaître, continua le maître des lieux en se servant un nouveau verre. Je vais m’assurer que votre guide de fortune prenne une douche et nous pourrons ensuite poursuivre cette conversation. »

Il insista une fois encore :

« Vous êtes ici en parfaite sécurité. Bon appétit ! »

Suzanne ne l’écoutait plus. Sa bouche redécouvrait des sensations que le temps lui avait fait oublier. Les fruits avaient un goût amer identique et leur chair était farineuse. Elle se rappela la tarte aux fraises qui concluait chacun de ses anniversaires ce qui la fit saliver.

Toutefois, la viande, bien que très assaisonnée était délicieuse. Elle avait un appétit d’ogre ce qui surprit les domestiques de Sileo.

« Quelle est cette viande ? demanda-t-elle après avoir englouti son cinquième morceau. C’est très salé.

— Du cafard, Madame. »

Une nausée l’envahit et elle faillit tomber à la renverse si l’un des serviteurs n’était pas venu à sa rescousse. Suzanne vomit. Le sel lui brûla l’œsophage.

Quand elle leva de nouveau les yeux, les deux frères avaient déjà disparu et on frappa à la porte.

Alors que Suzanne retrouvait sa lucidité, une inconnue richement vêtue pénétra brusquement dans la pièce. D’un geste de la main, elle donna congé aux deux domestiques qui s’exécutèrent sans broncher.

La peau mate, elle mesurait une tête de plus qu’Erol. Ses yeux gris en amande se posèrent sur la jeune femme qui se sentit comme transpercée. Il y avait dans le regard de la visiteuse une force d’esprit écrasante. Possédant la salle de sa présence, elle s’avança vers Suzanne en affichant un sourire au coin des lèvres.

Son déplacement fut céleste. Chacun de ses mouvements était exécuté avec grâce et précision. Cette volupté était accentuée par la légèreté de ses vêtements, une fine robe bleue aux coutures dorées totalement transparente. Elle ne cachait rien, pas même les nombreuses cicatrices qui parsemaient son abdomen.

« Sileo a déjà déguerpi ? »

Sa voix était grave et autoritaire.

Son ceinturon attira le regard de Suzanne. Il était orné de l’arbre creux, symbole de cette Fondation dont Erol parlait tant.

« Sileo. Le… le frère ? Suzanne. Je suis Suzanne. Ils sont partis », bégaya la jeune femme en tentant une ridicule révérence.

Elle ne savait même pas pourquoi. Son interlocutrice esquissa un sourire.

« Étrange. Ce n’est pas son genre de laisser en plan une jolie demoiselle. »

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