《L'Empire de Cendres》CHAPITRE 3 : EROL

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Sous le regard impuissant d’Erol, la jeune femme à la peau de nacre semblait souffrir atrocement. Les yeux mi-clos, elle tenta plusieurs fois d’atteindre sans succès son visage. Mais, affaibli par les âges, aucun de ses muscles ne répondait autrement qu’à travers de violents spasmes au niveau des épaules. Ses mains ricochaient contre les rebords du cercueil ou ses doigts s’emmêlaient dans ses longs cheveux. Du sang tachait désormais sa combinaison jusqu’ici immaculée.

« Le masque ! Ôtons-lui le masque ! » lança Octave en saisissant la tête de la belle endormie.

Plus vif, l’élève avait saisi l’épée toujours au sol de son maître et trancha net les câbles étranges qui reliaient le masque à la cabine. Un flot de liquide blanc jaillit soudainement des parties sectionnées. Octave empoigna alors un à un les différents fils jaunes qui s’agitaient comme les tentacules d’un octopode déchaîné. À l’aide de son écharpe, il commença à les boucher. Le torrent laiteux s’arrêta enfin.

Ainsi libérée de son entrave, la jeune femme roula sur le côté. Quelques secondes plus tard, elle vomit ce même liquide blanchâtre à l’intérieur de son caisson. Elle se perdit dans une quinte de toux avant que le silence ne revienne.

Les deux pilleurs échangèrent des regards stupéfaits tandis que seule la douloureuse respiration de leur trouvaille résonnait dans la pièce. Erol tendit alors la main vers elle. Elle tremblait.

Que suis-je censé faire ? Si elle meurt, tout est perdu !

Il n’avait encore jamais fait de découverte de cet acabit. Il voulut prendre son pouls, caresser sa peau aussi blanche que sa combinaison et s’assurer que tout ce qui venait de se passer n’était pas une illusion. Le dédale de bétons et d’acier leur avait jusqu’à présent joué bien des tours.

Mais au moment où il la toucha, celle-ci se retourna lentement vers lui, silencieuse. Son visage portait toujours les stigmates rosis du masque. Alors qu’il retira sa main, elle ouvrit les yeux. Ils étaient d’un bleu qu’il n’avait encore jamais vu.

Après avoir repris ses esprits, Erol l’invita à le rejoindre afin qu’elle puisse s’extraire de ce lugubre caisson de verre. Esquissant un sourire, la belle inconnue ferma de nouveau les yeux et tomba dans ses bras. Erol bégaya quelque chose qui ressemblait à une question. Derrière lui, Octave était figé telle une statue.

Plusieurs minutes étaient écoulées et Erol était resté aux côtés de la jeune femme jusqu’à ce que son estomac crie famine. Malheureusement, après vérification, leurs stocks de nourriture étaient à un niveau alarmant. Reinor avait été supposément enseveli avec la moitié des réserves.

En face de lui, appuyé contre un autre cercueil de verre, se tenait maintenant Octave. Les yeux dans son carnet de notes, il relatait les récents événements. La plume d’argent ne relâchait jamais sa pression sur le papier. À plusieurs reprises, le fin parchemin faillit se déchirer sous la fougue du jeune garçon aux cheveux roux. C’était une manie que l’archéologue détestait.

« Tu sais que tu auras tout le temps d’écrire à notre retour à Renaissance. Tu devrais te reposer. »

Il remarqua que c’était la première fois qu’il tutoyait son disciple.

« Même si je perds la vue à rédiger dans l’obscurité, je me dois de relater notre découverte dans les moindres détails.

— Vous… tu es sûr que tu veuilles faire mention de la fille dans un rapport ? Peut-être devrions-nous en parler à Marian d’abord.

— De la fille. Des cadavres badigeonnés de je-ne-sais-pas-trop-quoi… de la pile à combustible dans le transformateur et de toutes les autres choses que j’ai pu extraire des terminaux encore fonctionnels !

— Il y avait quoi d’intéressant dans les terminaux ?

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— Rien de concluant. Juste cette histoire de transcendance…

— Qu’est-ce que c’est que ça la transidance ?

— Transcendance, le reprit Octave, comme à son habitude. Transférer une conscience dans une machine. J’ai trouvé un fichier qui parlait de ça. »

Erol pouffa.

« Foutaises !

— Peu importe ! Je préfère que tout ça soit relaté. Et surtout concernant la fille. En tout cas, avant que vous la vendiez à un quelconque technomancien pour qu’il puisse la dépecer.

— Tant que ça rapporte », lâcha nonchalamment Erol en tapotant le front de la jeune femme.

Tant d’années passées à ramasser les babioles centenaires l’avaient rendu amer et vénal. Cela énerva une fois de plus Octave.

« Nous sommes les premiers à n’avoir jamais déniché un être datant de l’origine du monde ! C’est scientifiquement inestimable et je n’ai pas l’impression que vous vous en rendiez compte.

— Origine du monde ? Ils vous apprennent quoi à l’Université ? » se moqua Erol.

Mais Octave ignora sa remarque et poursuivit :

« D’ailleurs, comment peut-elle encore dormir après tout ce temps ? C’est insensé !

— Nous n’avons aucune certitude la concernant, » objecta Erol qui avait toujours en mémoire les cadavres trop bien conservés de la pièce précédente.

Son élève s’était levé. Après avoir rangé ses affaires, il avait pris la direction du coffre de verre. Sous le regard interrogateur d’Erol, il fouilla rapidement à l’intérieur pour en ressortir les curieux câbles. Alors qu’il pressa doucement l’un des tuyaux caoutchouteux dans sa main, un jet de fluide se répandit sur ses chaussures, à quelques centimètres de la position de l’archéologue.

« Que comptes-tu faire avec ça ?

— Il y a fort à parier que ceci soit de la nourriture ! Et que cela l’ait même aidé à subsister aussi longtemps. C’était tout anticipé ! »

Erol, désormais debout, lui ôta le tube des mains.

« Elle n’avait rien prévu du tout, » dit-il en les remettant gauchement en place.

Un courant d’air fit tressaillir le pilleur de tombes. L’âpre odeur des cadavres s’immisça dans ses narines ce qui lui coupa l’appétit pourtant attisé par le liquide salvateur du système de survie.

« Par chance où je ne sais trop quoi, ses congénères ont été réveillés plus tôt pour une raison inconnue. Cela a permis au dispositif de garder suffisamment d’énergie pour conserver cette… demoiselle, pendant tout ce temps. Pendant que la planète grillait à la surface, » conclut Erol en réajustant le col de son manteau de cuir.

Puis il se détourna du coffre pour s’écarter de son acolyte. Des courbatures lui cisaillaient les jambes.

« Où allez-vous ?

— Dehors, répondit Erol. Il n’est pas question d’ajouter trois nouveaux cadavres au charnier. »

Mais, avant de prendre la direction de la sortie, une boîte métallique manqua de le faire trébucher. Lorsque sa botte heurta le caisson, celui-ci s’ouvrit à la volée. Son geste malheureux dispersa dans la pénombre, une dizaine de breloques transparentes cerclées d’un métal doré. Elles n’étaient pas plus grosses qu’un pouce. Il était finalement non moins maladroit que son disciple.

Toujours perspicace, Octave prit ensuite les devants :

« Implants temporaux ? De nouveau une découverte saisissante, je n’en avais jamais vu en aussi bon état !

— Ils sont en effet extrêmement fragiles. Par chance, ceux-là sont encore dans des coques protectrices », dit Erol en ramassant l’un des implants.

À la lumière de la torche, l’archéologue le fit rouler dans son gant. C’était un splendide ouvrage. La qualité était telle qu’il en était même impossible d’apercevoir les circuits imprimés tant ils étaient nanoscopiques.

« Tout le monde en avait pourtant à leur époque, lui rappela le jeune garçon en pointant du menton la belle endormie.

— Ils s’usent très vite avec le temps et sans soins thermiques adéquats, répondit Erol après avoir rassemblé son nouveau trésor dans le caisson.

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— Mais elle ? Elle en a un ? »

Erol avait déjà sorti un couteau qu’il gardait dans le revers de son manteau. D’un pas rapide, il avait de nouveau rejoint le sarcophage et avait saisi sa mâchoire entre ses doigts.

« Vous n’y pensez pas ! » s’emporta Octave en lui attrapant l’épaule.

Erol l’écarta aussitôt d’un coup de coude.

« Me prends-tu pour un imbécile, mon garçon ? » grogna-t-il en tapotant de sa lame la tempe de la jeune femme.

Le dos de la lame ne s’enfonça pas dans la peau. Il laissa à peine une marque visible. Un ajout de silice, comme les habitants des Hautes-Terres les appelaient vulgairement, se trouvait bien là.

Le froid de l’acier fit grimacer la jeune femme, mais l’arme finit par rejoindre son fourreau aussi rapidement qu’elle en fut sortie. L’archéologue fit alors demi-tour. Donnant ordre à Octave de vérifier la présence d’autres caissons, il quitta les lieux.

Au fil de son exploration, plusieurs sas de plexiglas lui barrèrent le passage. Après tant d’années, ceux-ci cédèrent assez facilement à la force de son poing.

Erol put rapidement émerger dans un hall aux proportions interminables. Il était si grand que l’obscurité ne permettait pas d’en voir les extrémités malgré les quelques halos de lumière qui descendaient des hauteurs. La puissance des lieux écrasa l’archéologue qui resta quelques instants en émoi, scrutant chaque recoin qu’il lui était possible de parcourir des yeux.

En dessous de lui, un compliqué réseau de rail et de poulies se dessinait. Celui-ci circulait au milieu de gigantesques cuves aussi épaisses que les murailles d’une forteresse et en acier d’une couleur rouge mat. Çà et là, des résidus de métal en fusion aujourd’hui solidifiés recouvraient leurs pans.

Au-dessus de certaines des cheminées qui constellaient la voûte pendait un système de chaînes impressionnant qui avait dû servir à retenir des charges énormes. En activité, ces liens devaient produire un tapage assourdissant.

« Cette caverne devait être une usine à l’ampleur totalement disproportionnée ! » s’exclama Erol, peu après avoir détecté un proche puits de lumière en provenance de l’une des pipes d’aération.

Le puits possédait un diamètre d’une dizaine de mètres. Il était accessible via une échelle qui longeait la voûte jusqu’à une plate-forme. Un réseau de passerelles lui permettrait d’atteindre son but.

Parfait !

Erol tenait sa sortie et pouvait retourner de ce pas auprès d’Octave afin d’amorcer les préparatifs. Mais ce fut son étudiant qui le trouva en premier. À ses côtés, la mystérieuse femme, toujours endormie, était étendue sur le couvercle en verre de son cercueil. Celle-ci avait été solidement attachée grâce à une corde et aux tuyaux de transport de nourriture fluidifiée. Il l’avait traîné jusqu’ici.

« Octave ? Qu’est-ce que tu fabriques ? »

À bout de souffle, son élève était dans un état de panique sans précédent.

« Monsieur ! Un grand malheur est arrivé quelques instants après que… balbutia l’étudiant alors trempé de sueur. Le courant est revenu d’un coup et puis l’habitacle de… son cercueil s’est illuminé et tout s’est mis à chauffer à l’intérieur ! »

Derrière son élève, d’imposantes flammes commençaient à envahir le couloir tandis qu’une infecte odeur chimique lui parvint aux narines. Déjà, autour d’eux, la fumée noire continuait de submerger les lieux par des bouches d’aérations.

« À cause du court-circuit, le matelas s’est instantanément changé en une flaque nauséabonde à l’instant même où j’ai réussi à l’extirper de ce piège ! » conclut-il sans reprendre sa respiration.

L’odeur devint alors tellement forte qu’Erol fut plié en deux par la douleur. C’était similaire à un glaive chauffé à blanc lui transperçant le nez et l’avant du crâne. Les larmes aux yeux, il saisit ensuite la jeune femme et la hissa sur son dos. Elle était si légère qu’il en voulut presque à Octave de l’avoir ramené ici sur un brancard de fortune.

Sans attendre, Erol rejoignit en second lieu les premières passerelles avec Octave sur les talons. Malheureusement fragilisées par le temps, les marches de métal se plièrent et l’archéologue glissa dans le néant à quelques mètres seulement de leur objectif.

Par réflexe, sa main droite put solidement s’amarrer à un câble. De l’autre, il tenait le col du costume de la jeune femme qui pendait maintenant dans le vide. Par chance, les fibres synthétiques étaient assez robustes pour soutenir son poids malgré le choc.

Sous les ordres de son maître, Octave sauta sur la plate-forme. Aussitôt après, l’un des cordages d’acier de la passerelle émit un grincement sonore. Tout était en train de s’écrouler. La panique le faisait suer à grosse goutte, si bien que le col de la jeune femme commençait à lui glisser entre les doigts.

« Je vais te la lancer. Agrippe-la ! ordonna-t-il à son disciple qui tentait tant bien que mal de sécuriser un câble qui menaçait de se rompre.

— Vous êtes fou ! » lui répondit ce dernier en recevant l’inconnue dans ses bras.

Erol fut presque certain qu’il venait de les tuer tous les deux. Rassemblant ses forces, il entreprit alors son ascension. En dessous de lui, l’épaisse émanation toxique s’immisçait entre les cuves. Elle envahissait de plus en plus le complexe.

Dans un crissement, la passerelle se détacha enfin et l’entraîna dans le vide. Un ultime bond lui permit d’attraper le bras de son disciple. L’archéologue parvint finalement à se hisser sur la plate-forme branlante. La main gantée tenant fermement une paire d’écrous, il fixait derrière ses lunettes embuées la mer de flammes qui se dessinait en contrebas. Le gaz toxique s’était embrasé.

Octave était sur le rebord, son écharpe devant son nez et sa bouche, les larmes aux yeux à cause de la fumée noire qui montait par vagues ardentes. Il eut à peine le temps de reculer que l’un des ultimes câbles maintenant la passerelle à la cheminée se rompit. Hors de contrôle, le serpent d’acier vint frapper son assistant dans le dos avec une force inimaginable et il manqua de chuter lui aussi.

Erol le rattrapa in extremis. Puis, sans attendre, il positionna Octave sur son épaule avant de commencer l’ascension jusqu’à une dalle de béton armé, suffisamment large pour y passer un homme. Par les interstices traversait la lumière du jour.

La soulevant non sans effort, Erol se hissa hors du complexe puis déposa Octave sur le sol d’une sorte de grenier. Celui-ci était partiellement recouvert de vieille paille humide et de grains de blé. Des paysans avaient dû le construire par-dessus l’ancienne cheminée d’évacuation.

Sans prendre le temps de souffler, Erol retourna ensuite chercher la jeune femme avant que la plate-forme ne rejoigne le réseau de passerelles dans les profondeurs.

Ce fut quand il la positionna sur son épaule qu’il remarqua des inscriptions sur le mur qui lui faisait face. C’étaient d’immenses lettres peintes de couleur jaune de plusieurs mètres d’envergure. Bien que légèrement effacées, ces dernières présentaient une typographie étrange qu’il eut du mal à déchiffrer.

J-O-S-I-A-S. Josias ?

Erol ignorait totalement ce que ce mot voulait signifier. Il n’en avait jamais vu de semblable au cours de ses recherches.

En dessous de l’inscription se dessinait un emblème, lui aussi réalisé grâce à la peinture jaune. C’était un cercle. D’autres lignes se poursuivaient en dessous, mais il fut impossible de discerner le symbole complet. Malheureusement, l’incendie en avait détruit une bonne partie.

Peut-être que la jeune femme pourrait le renseigner à ce sujet. C’est en tout cas une découverte qui intéresserait grandement Octave. Ce dernier avait d’ailleurs repris conscience quand Erol remonta à la surface.

« Non content de ruiner ta veste et ta chemise, ce maudit câble a déchiré ta chair sans faire de détails, mon pauvre Octave, commenta Erol

— Il va donc falloir que je me paie une nouvelle colonne vertébrale ? plaisanta l’étudiant en sortant de sa sacoche son kit médical.

— Tu connais mon avis sur les implants, mon garçon. Tout ça n’est qu’une vaste escroquerie. Ils s’oxydent, font pourrir la chair, et tout ça pour des améliorations de pacotilles. Leur temps est passé. Cette camelote ne devrait plus être entre les mains de charlatans s’appelant chirurgiens ou technomanciens. »

Erol s’empressa alors de lui saisir les feuilles de pansements des doigts.

« Où sommes-nous ? » demanda le jeune garçon en grimaçant quand l’archéologue lui appliqua les bandages verts sur la plaie.

Erol eut ensuite une pensée pour son disciple. Le dos broyé, ce dernier avait peu de chances d’imaginer un jour une telle blessure guérir convenablement.

Il s’en voulait désormais de l’avoir emmené dans ce piège souterrain et se promit d’en toucher deux mots à Marian à leur retour. Le gamin devra dorénavant rester à l’Université. Et si son crétin de père ci n’était pas content, qu’il aille se faire voir, lui et toute la Fondation !

« Où sommes-nous ? » redemanda Octave.

Face à eux, auréolée par la triste lumière du jour, se dressait une porte de planches d’apparence misérable.

« Ne bouge pas. Je vais aller voir puis... »

Mais quand Erol s’en approcha, celle-ci s’ouvrit avec fracas.

Un jeune garçon d’à peine huit ans fit irruption dans le grenier. Les cheveux courts d’un blond platine et recouvert de terre, l’enfant portait une simple tunique de jute et une paire de sabots de bois très inconfortables. Ses yeux étaient rouges et sa gorge constellée de varices.

Étonné, Erol interpella ensuite le petit qui se tétanisa sur place :

« Mais qu’est-ce que tu fais ici gamin ? »

Il eut un hoquet.

« Mi… milles Excuses ! commença à bégayer l’enfant. Loin de moi l’idée de vous surprendre. »

Il toussa avant de reprendre :

« Mon nom est Luca, Luca Flumine. Du moulin de Wassen, un peu plus loin sur la rivière. Vous n’êtes pas des soldats ? »

Silencieux, Erol jugea le malheureux. Ses yeux bouffis et ses tremblements trahissaient sa peur. Octave avait désormais le visage collé à la porte de nouveau fermée, examinant l’extérieur du grenier.

« Monsieur, la situation ne va pas vous plaire », dit-il.

D’un geste de la main Erol ordonna à Octave de veiller sur la jeune femme. Il avait entre-temps remarqué que sa respiration était haletante, l’air était mauvais dans les Hautes-Terres.

Puis, l’homme au chapeau alla se placer contre l’ouverture. Il plaqua son visage contre le bois, cherchant le meilleur angle pour apercevoir les environs à travers les interstices.

Une ferme délabrée se dessinait dans la brume matinale. À la gauche du grenier se tenait une étable de pierre et de torchis composé de terre et de vestiges de sacs en plastique. Face à la porte se trouvait une petite demeure avec deux fenêtres. Le toit de chaume était recouvert de mousse et menaçait de s’effondrer par endroit. L’ensemble était lugubre, mais semblait totalement désert.

Il fallut attendre quelques secondes que la brume se disperse aux alentours de la cour intérieure pour qu’Erol puisse discerner un gigantesque arbre sur le côté droit du grenier. C’était un noyer qui, malgré l’arrivée du printemps, ne s’était paré d’aucun feuillage.

De sa branche la plus forte pendait trois formes sombres toujours englouties par le brouillard. Ajustant ses lunettes, Erol laissa échapper un juron sonore quand les corps d’un couple et de leur enfant apparurent, dansant au vent. Les rugueux grincements de leurs cordes résonnaient dans la cour.

Au même moment, des voix retentirent près de la chaumière. De là surgirent quatre figures portant un équipement militaire. Trois d’entre eux possédaient un casque plat leur arrivant au nez. La vision était assurée par deux orifices à la hauteur des yeux. Ils étaient munis de lances et d’un imposant haubert de mailles, gauchement agencées, leur tombant sur les genoux. Par-dessus ce dernier, une tunique mauve et noire était estampillée de l’emblème d’un seigneur local qu’Erol reconnut : le poing rouge de Firehorn.

Les soldats étaient accompagnés d’un officier. C’était le seul qui n’était pas vêtu d’un casque en raison de l’épaisse couche de pansements appliquée sur son crâne. La plaie était récente, les paysans avaient donc dû fièrement vendre leur vie.

Alors que les quatre individus prenaient la direction de la cour, Erol porta la main droite à la garde de son épée. Si un combat devait éclater, il allait se défendre vaillamment.

Des fantassins des Baronnies, fanatisés par l’Inquisition, il en avait déjà croisé par le passé. Ils les savaient entraînés, disciplinés, mais beaucoup trop sûrs d’eux. Un avantage qui consolidait l’opportunité qu’Erol était prêt à saisir, épaulé par l’arbalète d’Octave.

Et puis aucun d’entre eux ne porte d’implants ou d’améliorations.

Fort heureusement, au dernier moment, les quatre hommes prirent la direction de l’étable où un cinquième les attendait avec un tonneau de spiritueux et des tranches de lards organiques.

Finalement, las d’être laissé sans explications, son élève se rapprocha afin de lui aussi pouvoir profiter de l’une des ouvertures de la porte.

« Ils ne possèdent pas les armoiries de l’Inquisition. Un seigneur partisan ? On dirait des Firehorn. Qu’est-ce qu’ils font là ? chuchota finalement celui-ci en fronçant les sourcils. Mais ! Ils ont du lard organique, les bougres ! »

Hélas, l’heure n’était pas aux critiques culinaires.

« Leurs bandes remontent la vallée jusqu’à Altdorf-la-Vieille, traquant les alliés de la Fondation et pillant fermes et villages, rajouta Erol l’air dégoutté.

— Si les intentions belliqueuses de l’Inquisition sont aussi ostentatoires, pourquoi la Fondation ne s’attaque pas immédiatement à eux ? s’emporta le jeune garçon.

— La Fondation n’a plus grand pouvoir dans les vallées du Sud. L’Inquisition se cache derrière ses pantins même si personne n’est dupe. Car, jamais ils n’enverront leurs Paladins se battre directement contre la Fondation !

— Et nous concernant ?

— Altdorf sera la prochaine à tomber et par conséquent nous ne pourrons plus rejoindre la cité de Renaissance par le lac. Nous devons donc rallier la rivière au plus vite, répondit Erol.

— Excellente idée ! Le torrent nous guidera à condition de trouver une barque. Mais où en dénicher une dans ces montagnes ? »

Octave hésita.

« Des bûcherons peut-être ?

— Moi je sais où vous pourriez avoir un bateau, » dit une timide voix.

C’était celle de l’enfant qu’Erol avait totalement oublié. Erol et Octave s’échangèrent un regard, heureux d’avoir enfin la chance de leur côté.

Mais avant qu’il ne puisse le questionner davantage, une lame de bronze transperça la porte et manqua de l’empaler de quelques centimètres.

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