《L'Empire de Cendres》CHAPITRE 2 : SUZANNE

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Il régnait dans les ténèbres un froid glacial qui lui rongeait les sens depuis si longtemps, qu’elle en avait oublié toute autre sensation.

Sa peau était recouverte d’une fine particule de givre. Cette dernière frémissait à chaque battement de cœur. Eux étaient si rares que la moindre de ses pulsations pouvait bouleverser l’ordre de l’univers.

Son corps de porcelaine était telle une plume. Elle flottait au gré d’une gravité hasardeuse. Comme engloutie au fond d’un océan silencieux. Elle semblait si fragile qu’un simple retour à la pesanteur risquerait de la briser en mille morceaux. Un coup de vent, un souffle ou un murmure pouvait la disperser aux quatre coins de l’espace.

La sérénité qui se lisait sur son visage fantomatique ne pouvait être trouvée que dans un sommeil des plus profonds. Ou bien la mort. Il aurait suffi d’un rien pour rompre la mince barrière séparant l’existant et le néant. Cet équilibre attendait patiemment d’être finalement brisé.

Le silence disparut en premier. Il y eut comme un bruissement, semblable à ce que pourraient produire les ailes d’un papillon. Il était léger et si lointain.

Était-il réel ? Certainement.

Alors que l’écho du papillon s’évanouissait, d’autres apparurent dans le lointain. Il y en avait maintenant partout. C’était comme un chant de murmures.

Elle sentit comme un frisson sur sa nuque. L’un de ces insectes hypothétiques venait de voleter à quelques centimètres de sa tête. Elle n’avait pas pu le voir, mais l’avait entendu. Ses ailes et celles de ses compagnons toujours perdus dans la noirceur de l’univers produisaient une si belle mélodie.

Une musique qui se transforma en douce et chaude caresse. Le givre qui recouvrait son corps tomba peu à peu. D’abord au creux de sa poitrine puis sur son torse. La sensation de froid abandonna ensuite son ventre, ses cuisses et ses bras. Ses pieds furent libérés avant que sur son nez, ne fonde le dernier cristal de glace.

Une énergie vitale inondait son enveloppe. L’existence chassait la mort. Le chaos repoussait le vide.

Elle put ouvrir les yeux. L’écrin n’était plus. Elle le vit s’envoler en vapeurs tout autour d’elle. Une robe d’étoiles se dessina dans les ténèbres. Un manteau qui glissait avec elle dans le néant avant de disparaître elle aussi, avec la mélodie des papillons.

La jeune femme à la peau de nacre resta ainsi. Les battements de son cœur résonnèrent dans l’ombre comme un appel. Jusqu’à ce qu’ils trouvent leur écho.

Alors les noirs abysses se transformèrent en un geyser de lumière. Depuis trop longtemps, cette dernière avait été ensevelie dans l’oubli. Hurlant de rage, elle donna lieu à un torrent furieux qui se dispersa en une pluie d’étoiles.

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Mille couleurs flottaient désormais autour de la jeune femme. Devant ses yeux maintenant ouverts, un champ d’étincelles et de formes dansait comme une nuée de papillons flamboyants. Ils étaient de retour. Et si nombreux. Elle voulait en toucher un.

Était-ce possible ?

Sa main répondit et bougea. Ses doigts se refermèrent maladroitement sur un reflet scintillant. Il avait déjà filé. Comme les autres, il s’agglutina avec ses plus proches compagnons pour former un complexe lumineux multicolore.

La curiosité poussa la jeune femme à aller explorer cet amas. D’un mouvement de jambe, elle flotta autour de trois perles de saphir qui pouvaient tenir dans le creux de sa main. Cette fois-ci, elle n’osa pas toucher ces lucioles du néant qui frémissaient à son approche.

Formant les trois sommets d’un triangle isocèle, les trois boules émettaient un chant crépitant. À tour de rôle, elles s’échangèrent leur position, voletant avec grâce autour de ses doigts avant de s’évanouir un peu plus loin.

Les lumières disparurent dans l’ombre d’une immense masse de matière qui surplombait désormais sa tête. C’était un bloc aux faces parfaitement rectangulaires d’un rose très pâle, mais brillant comme s’il était fait de marbre. Il était au moins dix fois plus gros que la jeune femme. Sa surface était lisse, mais, par endroit, se dessinait de petites imperfections agitées de mouvements.

D’un coup de rein, elle se déporta en arrière afin de juger cette nouvelle découverte. Après une brève inspection visuelle, elle alla plaquer délicatement sa main droite sur l’une des façades de la baleine.

Il en résulta un effroyable choc électrique qui propulsa la curieuse à plusieurs centaines de mètres dans le vide. Un cri s’échappa de sa gorge et se perdit en crépitement.

Dans son esprit, ce fut un tourbillon d’images et de sons. Par milliers, ils rebondissaient, s’entremêlant ou s’entrechoquant. Des applaudissements et un grand homme brun à l’allure fière et aux yeux mauves. Un animal aux poils roux se léchant la patte. Le visage d’un autre individu a la peau d’ébène, riant à gorge déployée. Son sourire dévoilait des dents si blanches elles aussi.

Puis vint un hurlement. Son hurlement. Il fut ponctué par une terrible sensation de douleur au ventre. Ces entrailles s’étaient enflammées.

Lorsqu’elle rouvrit de nouveau les yeux, il ne restait de sa main qu’un moignon ensanglanté. L’os avait noirci et sa chair fondue. Le sang qui n’avait pas séché formait des bulles sombres qui se perdaient dans cet environnement à la gravité aléatoire. Mais elle ne ressentait aucune douleur.

Apeurés, deux modestes coups de jambes l’éloignèrent un peu plus de cette créature belliqueuse. Elle longea alors deux maigres pépites dorées de la taille d’une bille. D’un geste de sa main valide tout en retenant son souffle, elle les repoussa.

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Rien ne se produisit cette fois et les deux cristaux rejoignirent d’autres entités similaires qui convergeaient vers le bloc flottant. Telles les abeilles, elles s’engouffraient dans cette ruche si singulière, la faisant croître chaque seconde un peu plus.

Bien que la grande majorité restât au sein de cet essaim rose, d’autres furent expulsées sans ménagement.

L’une de ces entités, un petit cube soudé à une bille de la même couleur azur frôla sa blessure. Là elle fut surprise de constater que de l’os s’échappait désormais un fin filament blanc qui grossissait à vue d’œil. Celui-ci se sépara finalement en trois puis cinq autres filandres. En un battement de cil, la plaie laissait place à un appendice nouveau et immaculé.

Mais, avant qu’elle ne puisse la toucher de sa main valide, une particule violette qui tentait de rejoindre le complexe rose vint la percuter à l’épaule. Roulant sur sa peau sans causer le moindre dommage, elle se fraya un chemin jusqu’à son cou. Puis, elle repartit de plus belle en direction de ces congénères.

Autour du bloc gravitaient désormais des centaines de ces particules. Le vrombissement qu’elles produisaient se faisait de plus en plus violent. D’autres formes apparurent à l’horizon, toujours plus massives. De nouvelles ruches se dessinaient derrière des nuages entiers d’éclats de lumière.

Une de ses nuées la frôla. Elle se rendit alors compte que tout ce manège dont elle était témoin était attiré par une force qu’elle ne pouvait percevoir. Le bloc rose et la jeune femme furent entraînés à leur tour par cette première force gravitationnelle. Elle était désormais prisonnière de ce piège mortel. Pour la première fois depuis son réveil, la panique envahit son cœur.

Esquivant les corps célestes qu’elle rencontra sur son orbite, l’amas rose lui montra la voie jusqu’à ce qu’il percute violemment une énorme sphère jaune qui propulsa une multitude de reflets lumineux en sa direction. Lorsque la brume se fut dissipée, elle put contempler ce que le chaos avait finalement engendré.

Il s’agissait d’un immense complexe, à la forme pseudocubique anarchique. Patchwork d’entités aux couleurs couvrant tout le spectre connu, l’astre engloba rapidement des centaines de ruches avant d’atteindre la taille d’une lune. Un satellite imparfait parsemé de crevasses allant parfois jusqu’à son cœur.

Autour d’elle, sur le plan définissant son équateur, gravitaient des milliers d’autres conglomérats qui s’entrechoquaient sans cesse. Eux n’avaient pas pu être absorbés, mais se détruisaient et se remodelaient à l’infini. Parmi eux, elle flottait, obnubilée par ce ballet céleste.

À l’instar des ailes de papillons, ce manège chantait. Elle était cette fois-ci sûre qu’il s’agissait d’un langage. Il y avait des millions de murmures qui se superposaient. Les complexes respiraient, soufflaient, discutaient entre eux. Ou du moins, dialoguaient avec cette curieuse lune gargantuesque à la robe multicolore.

Las d’esquiver les astéroïdes et leurs satellites de lumières, la jeune femme décida de se frayer un chemin jusqu’à l’astre arc-en-ciel. À la surface de cette planète étrange, des orages d’éclairs avaient attiré son attention.

Pendant son parcours, elle contourna habilement les plus gros blocs tout en prenant appui sur des solitaires plus petits. À plusieurs reprises, de légères décharges lui picotèrent les doigts.

Le résultat était à chaque fois identique. Elle y entendit des soupçons de voix, des images floues, des sentiments vaporeux.

Rien n’avait de signification à moins d’effleurer des agrégats plus conséquents. Là, le choc était plus vif et les visions ainsi que les sensations plus nettes. L’expérience restait aussi mystérieuse que désagréable et elle jugea préférable de l’éviter.

Son voyage l’avait finalement mené au plus près de l’immense complexe que le permettait la ceinture. Il y avait maintenant entre les deux un vide qu’elle décida d’enjamber. Mais cet espace inhospitalier la repoussait continuellement. Un combat acharné s’engagea alors.

Des dizaines de tentatives plus tard, elle s’avoua vaincue lorsque cette gravité sans loi la renvoya une nouvelle fois contre l’une des faces d’un petit corps cosmique jaune.

De violents orages secouaient toujours ce satellite belliqueux. Le tonnerre gronda jusqu’à déchaîner des éclairs à partir de sa surface maintenant totalement lisse.

Un vrombissement sonore ricocha entre les différents éléments de la ceinture. Les astéroïdes retournèrent la foudre provenant de l’astre lunaire.

Mais la course de celui-ci n’avait rien d’aléatoire. Déviant soudainement de sa trajectoire, il vint percuter la jeune femme en pleine poitrine.

Mille aiguilles lui perforèrent les entrailles. Elle sentit son cœur et son cerveau fondre, son esprit se fissurer. Puis la douleur se dissipa aussi rapidement qu’elle était survenue.

Lentement, son enveloppe glissa en direction de l’astre. Le vrombissement avait maintenant totalement disparu. Il s’était transformé en un murmure distinct.

Provenant du corps céleste ambré qu’elle venait de quitter, elle entendit une voix. Cette dernière était profonde et caverneuse. Il y avait pourtant un soupçon de joie. C’était comme si l’entité lui souriait.

La voix lui fredonna alors son nom :

« Suzanne. »

Et, à mi-chemin de la lune imparfaite, la sphère jaune l’enveloppa.

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